Maternité et téléréalité : fifties reloaded

Crédit illustration : TFX

Maternité et pop culture, épisode 1

Baby-boom, Super Nanny, On a échangé nos mamans, Familles XXL, Mamans et célèbres… Depuis quelques années, la maternité fait partie des thèmes favoris des programmes de téléréalité. Et pour cause, filmer la famille assure des moments d’émotion, pas mal de cris, une dose d’imprévu et beaucoup de consommation : tout ce que la téléréalité adore. En montrant la vie quotidiennes de parents anonymes ou influenceurs, ces programmes entendent refléter une « réalité » à laquelle les spectateur·ices peuvent s’identifier. Une réalité très « années 50 ».

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« Je me sens femme au travers de mon rôle de mère »

 Comme l’explique l’essayiste féministe Valérie Rey-Robert dans Téléréalité : la fabrique du sexisme, la mise en scène de la maternité dans la téléréalité s’inscrit dans une vaste entreprise de promotion de l’hétérosexualité auprès des (jeunes) femmes, principales spectatrices de ces programmes. Dans ce contexte, être en couple et avoir des enfants est présenté comme l’accomplissement ultime, comme en témoigne Éloïse dans la saison 7 de Mamans et célèbres (TF1) : « Je sens que je suis à ma place, que c’était ce qui devait m’arriver dans ma vie. Je me sens femme au travers de mon rôle de mère ». Pour de nombreux·ses candidat·es ayant débuté dans d’autres émissions, la maternité est aussi l’occasion de poursuivre sa carrière tout en gagnant en respectabilité. À condition d’opérer quelques ajustements. Pour qui veut accéder à une maternité médiatisée, plus question de se promener en maillot de bain toute la journée ou de hurler sur ses petit·es camarades. Dès le premier Loft, en 2001, la téléréalité s’est montrée très sévère avec celles qui cultiveraient l’ambivalence entre la « maman » et la « putain ». Loana en a tristement fait les frais. Comme le remarque Valérie Rey-Robert, « pour beaucoup de ces femmes, la maternité implique un look en rupture avec celui qu’elles arboraient en tant que femmes célibataires et sans enfant ». Ainsi, la célébrissime Nabilla Vergara est passée du personnage de bimbo à celui de mère de famille respectable en arborant des tailleurs stricts et en adoptant un langage beaucoup plus policé.

Le plus beau métier du monde

Pour Nabilla comme pour toutes les mères influenceuses, semble t-il, la maternité est le « plus beau métier du monde » (comment pourraient-ils dire le contraire alors qu’une grande partie de leur revenus repose sur leur capacité à se mettre en scène en tant que mères ?). Comme le confirme Valérie Rey-Robert à propos de Mamans et célèbres : « Tout le montage de l’émission est axé autour du fait qu’être mère est la plus belle chose qui puisse arriver à une femme ». D’ailleurs, « on s’intéresse peu aux carrières des femmes concernées ». Et en matière de glorification quasi-pétainiste de la famille, la palme va à l’émission Familles nombreuses : la vie en XXL (TF1) où la production met en scène le côté « joyeux bordel », minimisant la charge de travail que représente l’éducation de nombreux enfants ou la résumant à une question d’organisation. Dans ces émissions, les mères sont portées aux nues et fréquemment présentées comme des « guerrières » ou des « mamans courage », en particulier les mères solos comme Angélique (En quête de famille – Familles nombreuses), mère solo de six garçons, en passe d’être décorée de la médaille de l’enfance et des familles. « Une façon de montrer à tous qu’elle a su s’en sortir malgré les difficultés », nous dit la voix off.

Je sens que je suis à ma place, que c’était ce qui devait m’arriver dans ma vie. Je me sens femme au travers de mon rôle de mère.

 

« Toujours en train de gueuler ! »

Et comme toute médaille a son revers, « la respectabilité que leur confère leur statut de mère, présenté comme un accomplissement, s’accompagne de jugements très sévères à leur égard », rappelle Valérie Rey-Robert. Florilège : « Il mange toujours aussi salement le Liam de Stéphanie, beurk », « La Pelissard elle n’a pas d’affect avec ses gosses ! Toujours en train de gueuler ! », « Je comprends pas le concept d’enchaîner les enfants pour les entasser dans un T5 ». Pour Valérie Rey-Robert, quoi qu’elles fassent, les mères (beaucoup moins les pères) de la télé sont en « échec permanent ». Leurs moindres faits et gestes sont scrutés et critiqués dans ce mélange de fascination/répulsion propre aux réseaux sociaux. Afin de capitaliser sur le mépris du public pour l’incompétence parentale et les classes populaires, une émission s’est fait une spécialité de stigmatiser les mauvaises mères : Super Nanny (M6 puis TF1 puis TFX), cette émission où des parents débordés sont placés entre les griffes expertes d’une gouvernante au doigt perpétuellement dressé. Dans ce programme qui met, à juste titre, les militant·es de la non-violence éducative en PLS, ce sont les mères qui sont jugées coupables de la mauvaise éducation de leurs enfants, ce sont elles qui reçoivent conseils et remontrances. Les pères, eux, sont au mieux absents, au pire totalement puérils, mais toujours vaguement irresponsables.

Maman accouche, papa « tient la barque »

 Car bien sûr, les familles de la téléréalité répondent à tous les standards de la famille traditionnelle. À de très rares exceptions près, le modèle parental est celui d’un couple hétéro, de préférence marié (dans Mamans et célèbres, la scène du mariage est un classique). Les enfants sont évidemment éduqués en suivant les stéréotypes de genre et ce, dès le gender reveal, une cérémonie durant laquelle les parents révèlent le sexe de leur futur bébé à l’aide de ballons (ou autres objets) roses si c’est une fille, bleus si c’est un garçon. Dans ce monde idéal, la famille est une oasis de douceur où les membres uni·es (et tous·tes habillés pareil) luttent ensemble contre l’adversité. Rien de subversif, le but est de faire rêver et consommer. « On voit [les candidat·es] évoluer dans des mondes parfaits où les inconvénients de la grossesse et de la maternité n’existent pas », note Valérie Rey-Robert. Évidemment, présenter la famille comme le théâtre privilégié de toutes les formes d’abus et de violences serait beaucoup moins vendeur ! Dans ce monde idéal, les mères sont présentées comme naturellement douées pour organiser la vie familiale. En miroir, l’archétype du papa con est une ressort scénaristique particulièrement utilisé. Ainsi, dans En quête de famille – Familles nombreuses, Yves doit s’occuper seul de ses cinq premiers enfants tandis que son épouse, Fabienne, est à la maternité après la naissance du sixième. Tout le montage repose sur l’idée que Monsieur assure maladroitement l’intérim en attendant que le retour de Madame. Ainsi, alors qu’Yves doit superviser à la fois la préparation du repas (sur les « conseils culinaires » de sa femme qui suit les opérations au téléphone), le bain des plus jeunes et les devoirs des aîné·es, « le papa prend sur lui car Fabienne rentre demain ». Et Yves de commenter : « Je suis prêt à maintenir la barque jusqu’à ce qu’elle revienne, même s’il faut courir partout ». Quel héros !

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 Séduction, mariage, maternité, apparence, ménage, cuisine, décoration… Comme le montre Valérie Rey-Robert, la téléréalité couvre toutes les compétences à acquérir pour « incarner la bonne féminité — blanche, mince, valide, bourgeoise, cisgenre et hétérosexuelle ». Pour beaucoup de candidates devenues influenceuses, la parentalité apparaît à la fois comme un accomplissement personnel et comme un plan de carrière, dans une réinterprétation contemporaine du mythe de la femme au foyer des années 1950. Si la maternité est le « plus beau métier du monde » et qu’il permet de s’acheter une villa à Dubaï, pourquoi s’en priver ?

Et mère alors !

Pour aller plus loin...

Telerealite-la-fabrique-du-sexisme

Valérie Rey-Robert. Téléréalité : la fabrique du sexisme. Hachette pratique. 2022.

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