Série Adopter en féministe, épisode 4.
Gabrielle Richard est une sociologue et chercheuse québécoise, spécialiste des questions de genre et de sexualité. Elle est l’autrice d’Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation anti-oppressive à la sexualité (éditions du remue-ménage, 2019) et de Faire famille autrement (Binge audio éditions, 2022). En 2014, portés par leur désir de faire famille par-delà les liens du sang, Gabrielle et saon partenaire Am, une personne non binaire, adoptent Z. via le programme banque mixte, un dispositif spécifiquement québécois qui mixe famille d’accueil et adoption
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Je m’appelle Gabrielle, je vis à Paris avec maon partenaire, Am, et nos deux enfants, Z., 13 ans, que nous avons adoptée il y a dix ans, et R., 4 ans, issu d’une PMA en Espagne.
Notre fille Z. est entrée dans notre famille lorsqu’elle avait 3 ans, dans le cadre d’une adoption banque mixte, un dispositif spécifiquement québécois qui mixe famille d’accueil et adoption. La famille qui s’engage dans ce processus s’engage à accueillir un enfant dit « à haut risque d’abandon », dont la famille d’origine vit des difficultés importantes (toxicomanie, violences, précarité, etc.) et n’offre pas un milieu suffisamment sécuritaire à l’enfant, qui est donc placé·e dans une famille d’accueil en attendant que ses parents biologiques redressent leur situation. S’ils n’y parviennent pas, l’enfant sera éventuellement adopté·e dans sa famille d’accueil.
Pourquoi nous être lancé·es dans cette aventure ? Am n’a jamais voulu vivre de grossesse. Moi, je savais que j’avais envie de vivre cette expérience, mais pas nécessairement tout de suite. Par ailleurs, nous savions qu’il manquait beaucoup de familles banque mixte dans la région de Montréal à cette époque-là. Cela correspondait bien à notre conception de la famille, donc nous nous sommes lancé.es. Nous nous disions que nous accompagnerions cet enfant le temps qu’il ou elle resterait dans notre famille, et que s’il ou elle devait retourner dans sa famille de naissance, c’est parce que c’était le scénario optimal dans les circonstances. Avec le recul, vu l’attachement qui se crée nécessairement avec un enfant, surtout très jeune, je ne pense pas que je l’appréhenderais de la même manière aujourd’hui.
Comme tout processus d’adoption, la banque mixte comporte une étape d’évaluation psychologique des parents. Ensuite, une première rencontre avec l’enfant est organisée pour valider que le courant passe. Suit une phase importante de cocooning, durant laquelle la cellule familiale se referme sur elle-même, dans le but de favoriser le lien d’attachement entre l’enfant et les adultes qui l’accueillent. L’enfant vit donc dans sa famille d’accueil à temps plein, mais continue de voir ses parents d’origine de temps en temps. En effet, le système se situant toujours du côté du parent, il leur donne de nombreuses chances de se rattraper. Dans notre cas, la situation des parents biologiques de Z. ne s’est pas améliorée, et il a été possible de l’adopter lorsqu’elle a eu 5 ans et demi, plus de deux ans après son arrivée dans notre famille.
J’ai parfois eu le sentiment de devoir cacher à la fois le fait que nous étions un couple queer, et le fait que nous étions des parent·es adoptant·es.
En tant que couple queer, nous n’avons pas rencontré de difficultés majeures. Nous avons été très bien accueilli·es et accompagné·es par le Centre jeunesse de Montréal, dont les équipes sont formées depuis des années sur l’accompagnement des personnes queer. Les inquiétudes sont surtout venues de notre entourage. Z. était le premier petit enfant de nos quatre parents. Ils l’ont donc accueillie avec beaucoup d’excitation, mais aussi beaucoup de crainte. Dans quelles conditions allait-elle nous être confiée ? Dans quel état allait-elle arriver ? Comment s’attacher à un enfant sous la menace du retrait potentiel ? La question s’est aussi beaucoup posée de l’absence de figure masculine. Il a fallu beaucoup écouter et rassurer, mais toutes ces inquiétudes se sont apaisées en voyant que Z. s’épanouissait à nos côtés. En tant que parents queer d’une part, et étant les premier·es de notre groupe d’ami·es à devenir parents, nous nous sommes senti·es isolé.es. Notre situation particulière a parfois donné lieu à des moments gênants, ou au moins cocasses. Je me souviens, par exemple, que d’autres parents me questionnaient sur la toute petite enfance de Z., (quand a-t-elle fait ses nuits ? Comment s’est passée l’acquisition de la propreté ?) et j’étais incapable de répondre, puisque je ne la connaissais pas lorsqu’elle avait cet âge ! J’ai parfois eu le sentiment de devoir cacher à la fois le fait que nous étions un couple queer, et le fait que nous étions des parent·es adoptant·es. Mais je tiens tout de même à dire que nous avons été plutôt privilégié·es tout au long de notre parcours.
La définition de la famille selon Gabrielle
Une famille, c’est un groupe de personnes qui s’aiment, se veulent mutuellement du bien et s’engagent à être présent·es les un·es pour les autres de façon active et bienveillante. On peut faire famille avec d’autres personnes de la même génération ou de générations différentes. En somme, une famille existe à partir du moment où on la nomme.
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Ce témoignage est un article de la série Adopter en féministe.
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Pour aller plus loin
Mixtes toujours. De Mathieu Latour aux éditions Alain Lafrance (2022). Dans ce roman, l’auteur, lui-même passé par un parcours d’adoption avec son conjoint, aborde les joies et déchirements qui habitent les parcours d’adoption banque mixte, côté parents biologiques, ou adoptants.
Récits d’adoption. Cinq aventures familiales. De Louise Noël, aux éditions Beliveau (2008). Cinq trajectoires de parents qui ont accueilli un ou plusieurs enfants dans le cadre du programme banque mixte du Centre jeunesse de Montréal.