Accouchement sous X : un droit féministe ?

Crédit illustration : Canva

Série « Adopter en féministes », épisode 2

Depuis 1993, le Code civil acte que « lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». L’enfant sera alors confié à l’aide sociale à l’enfance (Ase). Après un délai de deux mois, durant lequel les parents biologiques peuvent revenir sur leur décision, l’enfant devient adoptable. La mère sera considérée comme n’ayant jamais accouché et l’enfant sera considéré comment l’enfant biologique de ses parents adoptifs. S’il ne concerne que 600 à 700 naissances par an, l’accouchement sous le secret divise. Pour certain·es, il est perçu comme l’ultime possibilité pour les femmes de ne pas devenir mères. Pour d’autres, comme Amandine Gay, que j’interviewais dans la dernière newsletter, ce dispositif emmure les mères de naissance dans le secret, tout en privant les personnes nées sous X d’accéder à leurs origines. Alors, l’accouchement sous X est-il vraiment un droit favorable aux femmes ?

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Vous êtes trop jeune, vous oublierez, vous en aurez d’autres.

Mis en place sous la Troisième République pour lutter contre la dépopulation, l’avortement et les infanticides, l’accouchement secret permettait à des femmes d’accoucher gratuitement et discrètement dans des établissements dédiés. Dans une société très conservatrice, sans moyens de contraceptions, ce dispositif permettait aux femmes d’éviter l’opprobre. Pour autant, les liens de filiation n’étaient pas rompus, et l’abandon n’était pas systématique. Sous le régime de Vichy, la loi a évolué pour imposer l’anonymat aux mères de naissance et faciliter l’adoption. Secret, anonymat et abandon sont devenus presque indissociables. Pour bénéficier de la gratuité des soins, il fallait confier son enfant. C’est ce que raconte Susana dans un épisode de La série documentaire : à 18 ans, à l’hôpital de Montreuil, l’assistante sociale lui a expliqué qu’elle devait laisser son enfant suite à l’accouchement, faute de quoi les frais hospitaliers seraient envoyés à ses parents au Portugal, lesquels n’étaient pas au courant de sa grossesse. Après la naissance, Susana, désireuse d’élever son enfant, et soutenue par son nouveau partenaire, a harcelé l’hôpital chaque jour pour récupérer son bébé. « Vous êtes trop jeune », « Vous oublierez », « Vous en aurez d’autres », lui répondait-on. Un jour, c’était trop tard, l’enfant était adopté·e. Susana ne l’a jamais revu·e.

Avec le recul, l’analyse montre que cet acte ne relève pas d’un véritable choix et que cette loi ne constitue pas un droit de la femme. 

 

La liberté absolue des femmes

Mais quelles solutions reste-t-il à celles qui ne veulent pas d’enfant et ne peuvent ou ne veulent pas avorter ? Dans L’empire du ventre. Pour une autre histoire de la maternité, la juriste Marcela Iacub défend âprement l’accouchement sous X. Elle présente cette possibilité comme une « IVG juridique », soit une ultime solution offerte par le droit en cas de dépassement des délais légaux pour avorter. Une enquête de l’Ined montre en effet que plus de 80 % des femmes demandant le secret de l’accouchement sont hors délais pour recourir à l’IVG en France. Pour la juriste, l’accouchement sous le secret répond à la « liberté absolue des femmes de ne pas être mères ». Un droit et un choix qu’il faut garantir à tout prix. Pourtant, dans l’ouvrage collectif Droit d’origine. La parole des acteurs, les principales intéressées tiennent un tout autre discours. « Avec le recul, constatent-elles, l’analyse montre que cet acte ne relève pas d’un véritable choix, qu’il engendre des conséquences traumatiques pour les mères sous X et que cette loi ne constitue pas un droit de la femme ». Pour choisir, disent-elles, il faut être en possession de tous les paramètres, et en condition physique et psychique d’exercer sa liberté. Or, beaucoup de mères disent avoir manqué d’information sur les différentes options qui s’offraient à elles, les aides possibles si elles gardaient l’enfant, les conséquences de l’abandon. Elles ont souvent été menacées ou manipulées par leurs proches ou les équipes médico-sociales. De nombreuses femmes regrettent aussi l’absence de soutien psychologique, l’isolement, l’attitude froide des soignant·es, l’impossibilité de voir ou de toucher leur bébé… Elles énumèrent enfin les nombreuses répercussions psychiques de leur « choix » : sentiment de déréalisation favorisé par le secret et le tabou, culpabilité, honte. Par conséquent, les mères de naissance organisées au sein de l’association « Les mères de l’ombre » (AMO) plaident pour une suppression pure et simple de l’accouchement sous X.

des nouveaux nés façonnés pour l’adoption

Pour Amandine Gay, l’accouchement sous le secret soulève des questions de justice reproductive, à l’intersection des enjeux de genre, de race et de classe. Dans Une poupée en chocolat, un essai autobiographique sur son parcours de née sous X, elle questionne : «Qui sont les femmes qui peuvent accéder à la parentalité ? Qui sont les femmes qui subissent des grossesses non désirées et des difficultés socio-économiques ? Quelles sont les “bonnes” conditions pour accueillir un enfant ? Pourquoi un enfant serait forcément mieux éduqué, mieux aimé dans une famille blanche de classe moyenne qu’auprès d’une mère pauvre et racisée ? À qui profitent ces abandons ? »
 
Pour ses détracteur·ices, la réponse est toute trouvée : l’accouchement sous X concerne essentiellement des femmes précaires, souvent racisées, et profite surtout aux parents adoptants, souvent blancs et de classe moyenne ou supérieure. Pour Claire Neirinck, citée par la juriste Caroline Van der Linden : « Il présente l’avantage de faire disparaître l’accouchement et de “livrer” des nouveaux-nés […] “façonnés” pour l’adoption. » La mère de naissance, elle, n’a pas son mot à dire : « Elle a demandé l’accouchement “sous X”, la machine est mise en route et tout se déroulera sans aucune démarche, sans aucun acte de la femme », note encore Caroline Van der Linden.

Pluriparentalité

Mais alors, comment préserver la liberté des femmes de ne pas être mères, en s’assurant de leur libre arbitre, tout en considérant l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit des personnes de connaître leurs origines ? La plupart des militant·es du droit aux origines plaident pour dissocier secret de l’accouchement, abandon et anonymat car « si on peut raisonnablement penser qu’un enfant serait mieux dans une famille adoptive, pourquoi serait-ce forcément en gommant la première partie de sa vie ? », remarque la psychologue Hyacintha Lofé. Ainsi, la loi pourrait permettre que la parenté biologique soit établie à côté de la parenté sociale, sans pour autant obliger la mère de naissance à prendre part à l’éducation de l’enfant. Cela permettrait aussi aux rares pères disposés à prendre leurs responsabilités dans ces situations (l’absence du père biologique ou son comportement sont les raisons les plus fréquentes motivant l’accouchement sous X) de le faire plus facilement. On pense au chanteur Soprano qui a récemment retrouvé son fils né sous X lorsqu’il avait 16 ans. « Je ne savais même pas qu’elle [sa mère] avait accouché. Sur les papiers, il n’y avait pas marqué mon nom, il n’y avait rien. J’étais papa mais je n’étais pas papa », racontait-il en 2020. La double filiation pourrait aussi favoriser des dispositifs comme l’adoption simple ou la banque mixte. « Au lieu d’adopter une ligne dure sur la parenté par le sang, ou sur la parenté sociale”, il serait plus utile d’essayer d’ouvrir une alternative vers la reconnaissance de la “pluriparentalité” effective de la société française », remarque la sociologue Nadine Lefaucheur.
 
Dans ce même esprit, l’association « Les mères de l’ombre » suggère d’inscrire les enfants sur le livret de famille des parents biologiques avec mention de l’adoption, de privilégier l’information sur l’adoption simple, mais également d’encourager le soutien intrafamilial ou intracommunautaire comme alternative à l’adoption. Elles demandent aussi à ce que les mères de naissance bénéficient du même accompagnement durant la grossesse, l’accouchement et le post-partum que les autres femmes. Elles proposent enfin un accompagnement en milieu protégé pendant les deux mois du délai de réflexion afin que la décision relève d’un véritable choix, mûrement réfléchi. En somme, les mères de l’ombre veulent être reconnues. Pour que cesse la stigmatisation de leur choix. Un véritable choix.

Et mère alors !

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Cet article s’inscrit dans la série « Adopter en féministes ». Dans le premier épisode, j’échangeais avec l’autrice, réalisatrice et militante afroféministe Amandine Gay, autour de son livre Une poupée en chocolat.

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