Série « Comment matermiliter », épisode 1
Plus de 75 ans après leur accession au droit de vote, les femmes sont de plus en plus présentes dans la vie politique française, aidées en cela par différentes lois sur la parité. Cependant, une fois élues, les femmes accèdent encore peu aux plus hautes responsabilités : actuellement, les femmes président seulement 6 des 18 régions françaises, et 20 des 101 départements, et ne représentent que 20 % des maires. Parmi les freins à l’accession des femmes à des carrières politiques, la maternité compte parmi les plus puissants.
Pas le time
D’abord, s’engager demande du temps. Or, il s’agit là d’une denrée rare pour la plupart des mères. « En 2021, les femmes continuent de partager leur temps entre la sphère publique et la sphère domestique, tandis que les hommes sont beaucoup moins contraints », remarque Léa Chamboncel dans son livre Plus de femmes en politique !. Eugénie Têtenoire, militante PS et adjointe au maire de La Rochelle, en convient : sans le soutien de sa compagne et mère de leurs deux enfants, nés à 20 mois d’intervalle, elle ne s’en sortirait pas : « J’ai beaucoup de chance, car ma compagne établit son planning en fonction du mien, et prend en charge les enfants le soir, lorsque je suis en représentation. » N’en reste pas moins que l’emploi du temps est « millimétré » pour cette Rochelaise qui cumule emploi de vendeuse, militantisme au Parti socialiste (PS), mandat d’élue et vie familiale. Du côté de Marie Batoux, élue à la mairie de Marseille sous la bannière Printemps marseillais, il faut compter sur la disponibilité sans faille de la nounou, car son conjoint a, lui aussi, une activité professionnelle prenante et imprévisible. Une disponibilité qui a un coût : « Il faut pouvoir se le permettre. Pour nous, la garde d’enfant représente environ 1 000 euros par mois. » Dans ces conditions, on se demande comment les mères isolées peuvent trouver les ressources suffisantes pour militer, qu’il s’agisse de temps, d’argent, ou d’énergie. Ce n’est donc pas tant parce qu’elles sont femmes que parce qu’elles sont mères que les femmes s’engagent moins, comme le montrent les chercheuses Elvita Alvarez et Lorena Parini dans un article de la revue Nouvelles questions féministes : plus encore que le sexe ou le niveau d’études, le nombre d’enfants et la part d’investissement dans le travail domestique impactent négativement l’engagement politique.
On ne peut pas demander à ce que nos élu·es soient plus jeunes, plus ancré·es dans la société, et refuser qu’ils et elles aient une vie, un travail, des enfants…
Mais qui va garder les enfants ?
Maternité et politique, deux engagements intenses, chronophages, et souvent jugés incompatibles, comme en témoigne la célèbre formule que Laurent Fabius aurait adressée à Ségolène Royal en 2007 : « Mais qui va garder les enfants ? » (phrase que l’intéressé a toujours démentie). Ainsi, lorsque Marie Batoux, élue marseillaise, annonce sa première grossesse en pleine campagne pour les élections législatives de 2012, un camarade lui rétorque : « C’est dommage, tu mets fin à ta carrière politique ». Si les deux casquettes paraissent inconciliables, c’est parce que, pour beaucoup de nos concitoyen·nes, la « vraie » place d’une mère est encore auprès de ses enfants. Selon une enquête de 2017, 22 % des français·es pensent que « dans l’idéal » les femmes devraient rester à la maison pour élever leurs enfants. « Aux yeux de la société, faire de la politique n’est pas une excuse valable pour s’absenter en ce qui concerne les femmes. […] », écrit Léa Chamboncel. Un constat que nuance Eugénie Têtenoire, à qui le maire a demandé de reprendre du service trois jours après la naissance de son premier enfant : « Si j’avais été la mère biologique de mon enfant, on ne m’aurait jamais demandé ça. Au fond, je suis traitée comme un papa », ironise-t-elle. Et d’insister sur la nécessité de proposer des congés égaux pour tous les parents : « Il n’y a pas de raisons que ce soit au parent qui a porté l’enfant de sacrifier ses nuits, son temps de travail, sa carrière, au profit du parent 2. Si les hommes avaient les mêmes contraintes que les femmes en la matière, la situation évoluerait beaucoup plus vite. »
Maternité sacrificielle et politique sacerdotale
Au sein des institutions, la question de la parentalité émerge timidement. L’ouverture d’une crèche à l’Assemblée nationale est régulièrement évoquée, et des députées ont récemment milité pour être remplacées pendant leur congé maternité. Sans succès, dans les deux cas. Il faut dire que la nécessité d’une conciliation entre vie politique et vie familiale est un enjeu nouveau : pendant des décennies, les instances démocratiques ont été monopolisées par des hommes de plus de cinquante ans, qui n’avaient pas d’enfants ou s’en occupaient peu. Aujourd’hui encore, les moins de 40 ans, qui sont les plus susceptibles d’élever des enfants en bas âge, sont sous-représentés au niveau local comme national. À cette problématique démographique, s’ajoute ce que Léa Chamboncel appelle « le “folklore” de l’homme ou de la femme politique toujours sur la brèche », assez peu compatible avec la vie familiale. « Il y a cette conviction communément partagée que la politique est un sacerdoce, confirme Marie Batoux. Cette semaine, j’ai été convoquée à une réunion à 17 h, programmée au dernier moment. Quand j’ai dit que je n’étais pas disponible, on m’a répondu : “Tiens-nous au courant si tu changes d’avis” ». Mais ce n’est pas une question d’avis : quel parent peut se rendre disponible au pied levé à 17 h en semaine ? Nous devrions collectivement refuser cela ! »
Changer les règles du jeu démocratique
Du temps, des moyens, et un changement de paradigme. Voilà ce dont les femmes, en particulier les mères, auraient besoin pour prendre leur place dans toutes les instances politiques. À La Rochelle, le conseil municipal au sein duquel siège Eugénie Têtenoire a voté un principe de compensation financière pour permettre aux élu·es en représentation de faire garder leurs enfants. De son côté, Marie Batoux plaide pour un réajustement des indemnités (compensations financières versées aux élu·es en contrepartie des dépenses et obligations qui résultent de leur fonction)., notamment dans les petites communes, afin de permettre aux femmes des classes populaires de s’engager. L’élue marseillaise pense aussi qu’il est capital de réorganiser la vie politique : « Nous devrions réfléchir à des modes de décision plus collectifs, où le degré de responsabilité ne serait pas nécessairement corrélé à un investissement hors norme. » Un constat que partage Eugénie Têtenoire : « On ne peut pas demander à ce que nos élu·es soient plus jeunes, plus ancré·es dans la société, et refuser qu’ils et elles aient une vie, un travail, des enfants… » Au-delà de l’égalité femmes-hommes, il s’agit de faire évoluer les règles du jeu démocratique, un jeu dans lequel nos représentant·es partageraient véritablement les problèmes du peuple. Comme l’écrit Léa Chamboncel, « il n’est pas seulement question d’adapter des horaires et des pratiques à un agenda féminin […], mais bel et bien de changer la vision que l’on se fait de l’activité politique. L’espace politique doit être plus inclusif et plus accueillant pour que chacune et chacun puisse participer aux débats à sa mesure et fort·e d’une expérience et d’une existence qui se jouent aussi au-dehors ».
Pour aller plus loin
📚Plus de femmes en politique ! Léa Chamboncel (Belfond, 2022). Comment se fait-il que plus de soixante-dix ans après l’obtention du droit de vote, la place des femmes en politique soit toujours aussi précaire ? Léa Chamboncel, éditorialiste politique et podcasteuse, est allée à la rencontre d’une cinquantaine de femmes politiques, de droite et de gauche, pour essayer de mieux comprendre les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Et esquisser une société plus inclusive, plus égalitaire, plus solidaire et donc réellement démocratique. A découvrir aussi, Popol, un média qui pose un regard féministe sur la politique