Bébé box : que cache l’injonction à « ne pas s’oublier » ?

Crédits : Canva

Depuis une semaine, j’ai un air de Larusso dans la tête et ça, c’est de la faute d’Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles (ou d’un·e quelconque membre de son cabinet – « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère », disait la fable de La Fontaine). Le lundi 11 octobre, le cabinet annonçait que, à partir de février 2022, tous les nouveaux parents recevront une « bébé box » lors de leur passage en maternité. Cette « box », inspirée d’un concept finlandais, ne sera pas vraiment une boîte, mais un sac en bandoulière, comme une « invitation à sortir, à ne pas s’oublier en tant que parent, à aller faire du sport ou des activités à l’extérieur ». C’est cette invitation à « ne pas s’oublier » qui, en plus de m’avoir inspiré le thème de cette newsletter, m’a collé le refrain de Larusso dans la tête, mais au lieu de « tu m’oublieras », ça fait « ne t’oublie pas ».

Maladresse ou injonction ?

Dans le kit du jeune parent sportif qui ne s’oublie pas (🎶 ne t’oublie pas, ne t’oublie pa-aassss 🎶), chaque objet « véhicule et symbolise un message qui a vocation à aider les parents », indique le cabinet d’Adrien Taquet. Mais quels sont-ils, ces objets ? Une turbulette (moi, je dis gigoteuse, mais bon) pour sensibiliser les parents sur les risques de mort inattendue du nourrisson ; un album jeunesse pour promouvoir « l’importance de l’éveil artistique et culturel du nourrisson » ; un savon et un bavoir pour encourager l’utilisation de produits naturels et alerter sur les perturbateurs endocriniens et…. une crème hydratante, censée rappeler à la mère de prendre soin d’elle et ne pas s’oublier. À l’heure où le voile se lève sur les réalités du post-partum, où les mères demandent plus de soutien durant cette période et où les sages-femmes descendent dans la rue pour protester contre la dégradation permanente de leurs conditions d’exercice, qui ne leur permettent plus d’accompagner correctement les futures et nouvelles mères, la maladresse des « symboles » choisis est évidente. Mais au-delà des objets sélectionnés, ce qui m’interpelle, c’est cette invitation répétée à « ne pas s’oublier » (🎶 you, don’t forget, yeah, yeah, yeah, yeah, yeah 🎶).

Derrière l’invitation à « ne pas s’oublier » se cache l’injonction à « redevenir une femme » sitôt le petit paquet de plus ou moins trois kilos expulsé de notre utérus.

 

 

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Retour à la normale exigé

Derrière l’invitation à « ne pas s’oublier » se cache l’injonction à « redevenir une femme » sitôt le petit paquet de plus ou moins trois kilos expulsé de notre utérus. Toute notre vie, on nous presse de devenir mères et, une fois l’objectif atteint, avant même que nous ayons le temps de devenir mères vraiment, on nous enjoint à ne plus l’être. Du moins pas trop et pas trop longtemps. Vite, vite, retrouver son poids d’avant grossesse. Vite, vite, reprendre une vie sexuelle. Vite, retourner danser avec ses copines. Vite, se détacher, se séparer, laisser bébé. Vite, redevenir « comme avant » : désirable, productive, exploitable. Pour Illana Weizman, autrice de Ceci est notre post-partum (Éd. Marabout, 2021), « le corps post-partum est une injure, car il bafoue les règles sociales de la féminité et de la beauté conventionnelles ». Ce corps qui ne correspond ni aux assignations esthétiques (beauté, minceur, jeunesse), ni aux exigences de productivité économique (parce que c’est vrai, à part allaiter huit à douze heures par jour, elles ne fichent pas grand-chose, les daronnes en post-partum), ni aux attentes de disponibilité sexuelle, il convient de le faire disparaître au plus tôt, sans quoi, on est soupçonnées de « s’oublier ». 

« Stop being desperate! »

Dans « ne pas s’oublier », il y’a aussi ce petit « s’ », cette toute petite lettre qui n’a l’air de rien, mais qui tourne son apostrophe accusatrice vers les parents, en particulier les mères : c’est à toi de veiller à ne pas t’oublier, à rester séduisante, à conserver une vie sociale, à sortir. C’est ta responsabilité, ton affaire (🎶 ne t’oublie paaaas, que ce soit en avril, en septembre ou en juillet 🎶). Ben oui, quoi ! Pour aller bien, il suffit de le vouloir, de se bouger, de faire un effort et de s’étaler un pot de crème sur la tronche. C’est simple ! Comme dirait Paris Hilton (voir en photo de couverture) : « Stop being desperate! »

Préoccupation maternelle primaire

Au fond, tout le monde semble dire que s’oublier, c’est mal. Et si, c’était inévitable ? S’oublier c’est, par définition, « considérer l’intérêt d’autrui avant le sien propre; faire preuve d’abnégation ». Or, qu’on le veuille ou non, être parent d’un tout petit bébé nécessite de faire passer ses intérêts du bébé avant les nôtres, car, malheureusement, les bébés sont infoutus de se débrouiller seuls. La parentalité des premiers mois implique donc de s’oublier un peu. Pas totalement, pas pour toujours, mais un peu quand même. C’est d’ailleurs ce qui rend l’épreuve du post-partum particulièrement déroutante pour les femmes libres et indépendantes que nous sommes. « Le post-partum est, à mon sens, bien plus difficile que la grossesse et l’accouchement. Outre le fait que mes pensées soient dirigées uniquement vers mon bébé, toute ma vie tourne autour de lui […], ma position en tant que femme, en tant qu’amante, en tant que cheffe d’entreprise, artiste, youtubeuse, n’existe plus pour l’instant. Mon statut de mère prend toute la place. Vous allez me dire que c’est normal, vous avez sans doute raison. Mais ça n’en retire pas la peur de “quand est-ce que je vais sortir de cette bulle ?” », témoignait l’humoriste Juliette Katz sur un post Instagram du 13 octobre. Cet état très particulier a été théorisé par Donald Winnicott en 1956 sous le terme de « préoccupation maternelle primaire », un état d’attention extrême au nourrisson que le pédiatre comparait à une forme de repli, de dissociation ou d’abandon. Et si on nous laissait le temps de traverser cet état, si possible soutenues et entourées, au lieu de nous enjoindre à en sortir le plus vite possible ? Car, finalement, comme le remarquait, sur Twitter, l’autrice Héloïse Simon (à découvrir absolument : son blog, Batailles choisies) : « Le problème, c’est pas que nous, “on s’oublie”, c’est que vous nous oubliez » (🎶 ne m’oublie pas, ne m’oublie pa-aaaas 🎶).

Et mère alors !

POUR ALLER PLUS LOIN…

🗞 Laura Boudoux, « Baby box : merci pour la crème hydratante, mais… », Elle.fr, 13 octobre 2021
📖 Illana Weizman, Ceci est notre post-partum(Éd. Marabout, 2021)
📖 Anna Roy, La vie rêvée du post-partum (Éd. Larousse, 2021)