Série Les monstres n’existent pas, épisode 1. Stéphanie.
J’ai rencontré Stéphanie en 2019. Ensemble, avec six autres femmes, quelque part dans les bois, nous avons enregistré un documentaire sonore. Ensemble, nous avons ri, pleuré et tremblé. Cette expérience restera l’une des plus fortes de ma vie. Aujourd’hui, je donne la parole à Steph, mère exceptionnelle et MILF extraordinaire. Écoutez son histoire, qui est bien plus que l’histoire d’un burn-out.
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Je voulais que tout soit parfait
Je suis la maman de trois enfants nés en 2004, 2010 et 2012. Trois ans après la naissance de la petite dernière, avec le papa des enfants, nous nous sommes séparés. Pendant un an, j’ai « assuré » en tant que maman solo. Je voulais être « parfaite ». Ma maison était propre et rangée, je cuisinais de vrais plats, rien ne traînait, le linge était lavé et repassé, j’étais toujours pomponnée et souriante… Je voulais que tout soit parfait.
Jusqu’à ce 13 novembre 2016 où j’ai pété un câble. Ce weekend-là, on fêtait l’anniversaire de ma nièce, et ma mamie m’a dit : « Tu as une sale tête, quelque chose ne vas pas ? » Je me suis mise à pleurer et je ne me suis jamais arrêtée jusqu’au lendemain soir. Je suis allée voir un médecin d’urgence, il a dit : « Il faut l’hospitaliser, elle peut être dangereuse pour elle ou pour ses enfants. » Je me sentais épuisée. Avec le recul, je me rends compte qu’il y avait eu des signes avant-coureurs : j’étais fatiguée, je ne mangeais plus, je faisais beaucoup de sport, j’étais comme en pilote automatique, j’étais désagréable avec les enfants, je ne supportais plus rien… J’avais même giflé une de mes filles, ce que je n’avais jamais fait avant.
Burn-out maternel
Diagnostiquée en burn-out, j’ai été hospitalisée onze jours en maison de santé (terme joli pour dire hôpital psychiatrique). Les enfants sont donc allés chez leur papa. A ma sortie, j’étais incapable de rester seule chez moi, je faisais beaucoup de crises d’angoisse… Mais je me disais qu’il y allait y avoir un déclic, et que j’allais reprendre ma vie d’avant avec les enfants. Finalement, en avril 2017, le jugement pour statuer sur la garde des enfants a eu lieu. La juge a été super compréhensive, sans jugement. Nous avons convenu que la garde principale serait chez le père et que je serais libre de prendre et/ou de voir les enfants quand je le voulais et pouvais, avec l’accord du papa. Nous nous sommes toujours bien entendus sur le sujet. Durant la première année, je les prenais très peu mais je les appelais très souvent. Ensuite, j’ai vendu l’appartement « familial » et loué un petit appartement, à quelques rues de chez leur papa, que j’ai aménagé pour que les enfants se sentent bien. A partir de là, je les ai pris bien plus régulièrement, par exemple, un jour chaque semaine où ils dormaient chez moi et je les emmenais à l’école le lendemain.
Ça ne se fait pas de ne plus vouloir vivre avec ses enfants.
Ils ne sont pas abandonnés, ils sont chez leur père !
J’ai le sentiment d’avoir épuisé mon « capital maman » comme on use son « capital soleil ». Ç’a été difficile d’avoir l’impression de ne plus rien ressentir pour mes enfants du jour au lendemain. Depuis six ans, je me reconstruis en tant que maman différente. J’aime mes enfants mais pas au point de les avoir au quotidien. Malgré tout, nous partageons beaucoup de choses, nous sommes très complices. J’ai tout fait pour les protéger et je leur ai toujours tout expliqué. Je sais qu’ils comprennent et ne me jugent pas. Un jour, une de mes filles m’a dit : « Maman, on ne te voit plus tous les jours, mais quand on te voit, au moins, tu ne cries plus. »
Mon entourage familial, en revanche, a été très dur avec moi. Lorsque je suis sortie de maison de santé, ma maman m’a lancé : « Moi, lorsque ton père est parti, ça a été difficile, mais je ne vous ai pas abandonnés ! » Je suis partie en claquant la porte. Ils ne sont pas abandonnés, ils sont chez leur père ! C’est écrit où qu’en cas de séparation, ça ne peut pas être papa qui garde les enfants ? Si j’avais été hospitalisée, dans le coma, personne n’aurait rien dit. Mais ma « maladie » à moi ne se voyait pas donc, pour tous, j’étais un monstre.
Pour le papa des enfants, cette histoire a aussi été un grand chamboulement.. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé papa de trois enfants et les responsabilités qui vont avec. Jusqu’alors, il s’était totalement reposé sur moi, il n’avait de papa que le nom, il ne s’occupait jamais des enfants lorsque j’étais là. Maintenant, il est présent pour les enfants et d’ailleurs, aux yeux de ma famille, c’est devenu un super papa. D’un côté, c’est bien, mais d’un autre, c’est leur papa, donc ce n’est pas extraordinaire.
Pas faite pour ce schéma
Je n’ai jamais voulu revenir sur cette décision. Déjà, parce que je n’étais pas capable de m’occuper d’eux H24, et puis, je ne me vois pas dire au papa des enfants : « C’est cool, tu t’en es occupé pendant X temps, mais maintenant ça va mieux, je les reprends ! » Pour moi, la maternité est une jolie chose, qui mérite d’être vécue, mais il faut savoir bien s’entourer et surtout ne pas vouloir être parfaite. Il ne faut pas chercher à faire plaisir aux autres parce qu’un jour ou l’autre… notre vrai « nous » nous rattrape. Même si au début je ne savais pas exprimer ce qui m’arrivait, même si j’ai eu des mots très durs car j’avais l’impression de ne plus rien ressentir pour mes enfants, en fait, je me cherchais. Aujourd’hui, je peux dire que je n’ai jamais cessé d’aimer mes enfants, je n’aimais juste plus ce rôle de maman du quotidien.
Je suis sûre que des centaines de femmes rêveraient de faire ce que j’ai fait mais n’osent pas à cause de la pression, du regard des autres. Ça ne se fait pas de ne plus vouloir vivre avec ses enfants. Et puis, la société fait tout reposer sur les épaules des mamans. A l’école, par exemple, on continue de m’appeler en premier alors que c’est bien précisé sur tous les papiers que tout ce petit monde vit chez papa et que c’est la personne à prévenir en priorité.
En tout cas, aujourd’hui, je ne culpabilise plus, je ne donne plus de faux prétextes pour dire que mes enfants vivent chez leur papa. J’ai voulu faire comme tout le monde. Je voulais avoir un mari, des enfants, une maison, un chien, un Scénic, mais au final… je ne devais pas être faite pour ce schéma.
Des chiffres
En France, la résidence principale est fixée chez le père dans 12,5 % des cas contre 76 % chez la mère. 11,5 % des enfants sont en résidence alternée.
En France, environ 6 % des parents se déclarent épuisés, selon une étude d’Isabelle Roskam, chercheuse en psychologie à l’université catholique de Louvain, en Belgique, publiée dans la revue Springer en 2021. D’après la chercheuse, l’épuisement parental est imputable à l’isolement des parents dans les pays occidentaux, dans un contexte où les normes éducatives sont de plus en plus exigeantes en même temps que le soutien apporté aux parents s’étiole.