Accouchement et séries. Cinquante nuances de male gaze

Crédit illustration : Monty Python - Le Sens de la vie : Le miracle de la vie. @Binge Society

Maternité et pop culture, épisode 2

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« Tu ne peux pas savoir comme ça fait mal ! ». Cette réplique culte de Ross, qui prend un énorme coup de boule pendant l’accouchement de Rachel, dans Friends, présente un potentiel comique évident : un homme qui se plaint d’avoir mal alors que sa femme est en train d’expulser un bébé de son utérus, voilà qui est drôle ! Celle qui devrait se plaindre, c’est la personne qui accouche. Car accoucher, ça fait mal. Et les séries ne se privent pas pour nous le faire savoir. Douloureux, dangereux et bruyant, voici la sainte trinité de l’accouchement dans les séries télévisées. Que cet événement soit exploité pour son potentiel dramatique, comique ou horrifique, le male gaze n’est jamais très loin. De Friends à Urgences, de The Handmaid’s Tale à Casa de Papel, tour d’horizon des représentations de l’accouchement dans les séries TV.

Poussez, Madame, poussez !

Quels que soit le lieu et les circonstances, l’accouchement est représenté selon un script relativement immuable : la femme perd les eaux, elle est instantanément prise de douleurs insupportables, on la retrouve quelques instants plus tard sur une table d’accouchement, en position gynécologique, les cheveux collés au front, brisant les phalanges de son partenaire tandis qu’un·e médecin ou un·e sage-femme lui intime l’ordre de pousser. Le tout nous est servi dans une ambiance des plus anxiogènes et toute l’opération paraît prodigieusement dangereuse, comme dans Urgencesl’accouchement de Carol se déroule dans un climat d’extrême tension (et non sans violences) sans qu’on sache vraiment pourquoi. Finalement, bébé est extrait du corps de sa mère laquelle s’émeut instantanément à la vue de son nouveau-né. On retrouve quelques instants plus tard le bébé langé dans les bras de ses parents, le couple front contre front s’émerveillant de la beauté de ce petit être. Et… coupez !

 Comme le remarquent Barbara Bechtel et Ellen Sidles, respectivement sage-femme et doula, invitées par le New York Magazine à se prononcer sur le degré de réalisme de certaines scènes d’accouchement, les films et les séries mettent systématiquement le focus sur la poussée, qui ne représente pourtant qu’une toute petite partie du processus et on assiste rarement à ce qui constitue l’essentiel du travail : la lente et (plus ou moins) douloureuse descente du bébé. Tout ce qui se passe après, de l’expulsion du placenta à l’allaitement en passant par les joies du post-partum, est également occulté (à ce titre, des séries comme Workin’ Moms ou The Letdown font exception, et ont largement contribué à démystifier le post-partum auprès du grand public).

Call the midwife, accouchements tous azimuts

Cette série britannique, inspirée des mémoires de la sage-femme Jennifer Worth, suit un groupe de sage-femmes exerçant au sein de la communauté religieuse de Saint Nonnatus, dans un quartier pauvre de  l’East End, à Londres, au tournant des années 1950 et 1960. Saluée pour son réalisme (la série tourne avec de vrais nouveaux nés et les scènes d’accouchement sont réalisées sous le contrôle d’une véritable sage-femme — c’est l’occasion de se rendre compte que l’imposition de la position sur le dos n’a pas commencé à l’hôpital), cette série met en scène toute la diversité des sujets entourant la grossesse, la naissance et le post-partum (infertilité, grossesses tardives, grossesses multiples viol, stress post-traumatique, deuil périnatal, dépression périnatale…) Au-delà des nombreuses scènes d’accouchement, la série est intéressante en ce qu’elle illustre l’évolution des conditions de la mise au monde. Au fur et à mesure des saisons, la médicalisation s’installe, permettant de gagner en sécurité, mais s’accompagnant aussi d’une perte d’autonomie pour les parturientes comme pour les sage-femmes. Saisons 1 et 2 en accès gratuit sur MyTF1.

« Et moi, je fais quoi ? »

Bien qu’il soit rare dans la réalité, l’accouchement hors environnement hospitalier est très répandu dans les séries. Ces circonstances permettent d’accentuer le sentiment d’urgence et de danger, donc la tension dramatique. Mais les scènes ne sont pas plus variées pour autant. Même en cas d’accouchement inopiné, que ce soit à domicile (Charmed), au bureau (Dix pour cent) ou dans une cave (Casa de Papel), les femmes finissent toujours sur le dos avec quelqu’un·e qui leur intime l’ordre de pousser ou de faire le petit chien (« Push, push, push, breathe, breathe, breathe », martèlent les servantes de The Handmaid’s Tale). Dans la vraie vie, pourtant, en cas d’accouchement à domicile, seules 5 % des femmes adoptent spontanément la position sur le dos, la plupart préférant se mettre à quatre pattes, à genoux, accroupies ou sur le côté.

 En matière de mise au monde, les séries semblent vouloir s’inscrire dans un imaginaire tourné vers le risque où les femmes sont passives et dépendantes, comme le dénonçaient déjà les Monty Python, en 1983, dans Le Sens de la vie : le miracle de la vie. « Et moi, je fais quoi ? », s’inquiète la parturiente, dans cette scène aussi hilarante que dramatiquement proche de la réalité de certains accouchements. « Vous ne faites rien, vous n’êtes pas spécialiste », rétorquent les médecins. Ainsi, ce qu’écrit Marie-Hélène Lahaye dans son livre Accouchement, les femmes méritent mieux à propos des guides de grossesse pourrait tout à fait s’appliquer aux séries qui, de la même manière, « alimentent […] l’ambiance anxiogène entourant les ventres ronds, ce qui contribue à soumettre, consultation après consultation, les femmes au pouvoir médical érigé en seule bouée en cette mer de dangers ».

Les scènes d’accouchement sont également un passage obligé pour toute série humoristique qui se respecte. Les scénaristes n’hésitent pas à jouer sur le ressort comique de la parturiente hystérique qui veut tout arrêter. Il semble, d’ailleurs, que les personnages de séries souffrent d’une pénurie d’analgésiques… La question de la péridurale est, en effet, totalement évacuée alors qu’en réalité, en France ou aux Etats-Unis, la majorité des femmes accouchant à l’hôpital en bénéficient. Les futurs pères sont aussi volontiers tournés en ridicule et, en général, les amis et la famille au grand complet s’entassent en salle d’attente (voire en salle d’accouchement) en attendant que bébé se pointe. Pour l’intimité, on repassera. Et quand on sait qu’un accouchement dure plusieurs heures, la présence des proches tout au long du processus paraît, sinon déplacée, au moins totalement improbable.

« Le lit d’accouchement est le champ de bataille des femmes »

Mais fini de rire : les scènes d’accouchement sont aussi exploitées pour leur potentiel horrifique. Récemment, l’accouchement de la reine Aemma (cliquez sans peur, le lien ne mène pas au visionnage de la scène) dans le premier épisode de la série House of the Dragon (dérivée de Game of Thrones) a traumatisé la planète entière. Au programme : une césarienne à vif ultra réaliste. « Le lit d’accouchement est le champ de bataille des femmes », se résigne la reine avant qu’on ne lui ouvre le ventre avec une barbarie sans nom, dénonçant par ces mots la mainmise du patriarcat sur le corps des parturientes. Il y aurait donc un propos politique derrière cette scène insoutenable ? Peut-être. Mais pour Anaïs Bordages et Marie Telling, créatrices du podcast Peak TV, cette façon très graphique de représenter les violences faites aux femmes (dont les créateur·ices de l’univers de Game of Thrones se sont fait une spécialité) en appelle plus à la fascination morbide des spectateur·ices qu’à leur conscience politique.

Comme pour tout ce qui touche au corps des femmes, le male gaze a tendance à transformer les parturientes en objets — de moquerie, d’admiration, de catharsis. Or, l’accouchement peut aussi être un lieu d’autonomie et de puissance, comme nous le montre cette scène magnifique de The Handmaid’s Tale, entièrement centrée sur le personnage de June, qui accouche sans assistance mais en pleine possession de ses moyens, dans une ambiance calme et intime, ce qui change de l’habituelle surexcitation des scènes d’accouchement. En somme, une belle démonstration de female gazeà savoir un regard qui cherche à nous faire partager l’expérience du personnage, à en faire un véritable sujet plutôt qu’un objet. Cette scène est belle, mais encore trop rare à l’écran. Il est grand temps de montrer des accouchements plus variés, où les femmes sont, a minima, actrices de l’événement et, pourquoi pas, véritablement puissantes. Car oui, définitivement,  « le lit d’accouchement est le champ de bataille des femmes ».

Et mère alors !

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