Démographie et écologie. Pour Emmanuel Pont : « Avoir un enfant de moins représente un choix individuel respectable pour réduire ses émissions. »

Crédit illustration : Mads Nissen/Panos-Rea via Telerama

Le 16 juin dernier, sur le plateau de la matinale de RMC, un échange entre Apolline de Malherbe et son invitée, Sasha, militante écolo, tournait à l’altercation. « Vous avez des enfants ? » interpellait l’invitée (« Mais qui pose les questions, ici ? » semblait-on lire dans l’œil de la journaliste). « Oui, j’en ai quatre, et vous, vous allez en avoir ou vous faites partie de ceux qui estiment qu’il faudrait ne plus avoir d’enfant pour la protection de la planète ? » rétorquait Apolline de Malherbe, visiblement excédée. Tandis que Sasha, acculée, avouait timidement ne pas forcément vouloir mettre au monde des enfants sur une planète en crise, la journaliste soulignait le paradoxe qu’il y aurait à vouloir sauver la planète tout en « renonçant à l’humanité ». Comme Sasha, pourtant, 40 % des jeunes hésitent fortement à avoir des enfants face à un avenir si incertain. Dans un contexte d’augmentation inquiétante de la population mondiale, limiter les naissances est-il un choix nécessaire ? efficace ? Faut-il vraiment cesser de faire des enfants pour sauver la planète ?

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Étés caniculaires et hiver démographique

À la seconde où j’écris ces mots, nous sommes 7 961 358 729 humains sur Terre. En 2050, nous pourrions atteindre le seuil des 10 milliards. Ça fait pas un peu beaucoup ? L’annonce, chaque année plus précoce, du « jour du dépassement », les rapports toujours plus alarmistes du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et le niveau de fréquentation de la plage des Catalans en ces jours de canicule peuvent nous pousser à répondre par l’affirmative.

En 2017, 15 000 scientifiques signaient un appel sur le risque écologique dans lequel la hausse de la population mondiale était présentée comme l’un des principaux dangers pour l’avenir. Ces scientifiques recommandaient, entre autres, de « réduire encore le taux de fécondité » à l’échelle de la planète. Alors, faisons-nous trop d’enfants ? Aujourd’hui, les taux de natalité sont très variables selon les pays, de 6,8 enfants par femme au Niger à 1,8 en France, 1,6 aux États-Unis ou 0,8 en Corée du Sud. Dans les pays du Nord global, nous sommes entrés dans un « hiver démographique » : la population vieillit et le seuil de renouvellement des générations, fixé à 2,1 enfants par femme, n’est pas atteint, ce qui conduit plutôt nos gouvernements à maintenir des politiques natalistes « ici » (la France est régulièrement présentée comme une « championne de la fécondité ») et à encourager des dispositifs antinatalistes parfois très coercitifs « là-bas ». En 1968, les biologistes Paul et Anne Ehrlich, auteurs de La Bombe P, suggéraient « d’incorporer des stérilisants provisoires dans l’alimentation et l’eau ». On pense aussi aux campagnes de stérilisations forcées organisées à La Réunion entre 1966 et 1970 alors que, à la même époque, les femmes de la métropole étaient interdites d’avorter. Pour certain·es, derrière la crainte de la surpopulation, se cache surtout la peur d’être « grand-remplacé·es », et l’écologie sert alors de prétexte à un discours xénophobe. En réalité, comme le signale Emmanuel Pont, essayiste spécialiste de la démographie, dans son livre Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? (Payot, 2022), « les pays à forte natalité ne représentent que 3,5 % des émissions mondiales de CO2 alors qu’ils abritent 20 % de la population mondiale ». Ainsi, les émissions de CO2 par an et par habitant au Niger sont de 0,1 tonne contre 4,5 en France ou 14,7 aux États-Unis.

Si les dégâts écologiques sont amplifiés par la croissance de la population mondiale, ils sont aussi et surtout causés par les comportements des pays riches. Très bien. Donc pour nous, qui vivons dans un pays riche, c’est bien de faire moins d’enfants ?

Si je nourris mes enfants de steaks et les emmène tous les weekends en avion, leur “impact” sera beaucoup plus élevé qui si je “transitionne” en famille vers un mode de vie plus soutenable.

 

Moins 58 tonnes d’émissions de CO₂ par an

En 2018, une infographie de l’AFP affirmait que renoncer à procréer serait la B.A. écolo par excellence.

Graphique AFP des économies d'émission de CO2 en fonction des choix de consommation

D’après ce graphique, le fait d’avoir « un enfant  en moins » permettrait d’économiser 58 tonnes d’émissions de CO₂ par an soit 50 allers-retours Paris-New York ! Lorsqu’Emmanuel Pont est tombé sur ce chiffre, il a tiqué : comment faire naître un enfant peut-il causer les émissions de douze personnes ? Pour l’essayiste, l’étude de 2009 sur laquelle est basée cette infographie présente plusieurs biais. D’après lui, elle surestime la part de responsabilité des parents dans les  émissions des générations futures et ne tient pas non plus compte de leurs autres choix de consommation. « Si je nourris mes enfants de steaks et les emmène tous les weekends en avion, leur “impact” sera beaucoup plus élevé qui si je “transitionne” en famille vers un mode de vie plus soutenable », remarque-t-il. Enfin, elle se base sur un scénario pessimiste et peu probable où la fécondité et les émissions de CO₂ par personne resteraient fixes pour toujours. Emmanuel Pont propose donc un calcul plus optimiste dans lequel la responsabilité des parents est limitée aux vingt premières années de la vie de leurs enfants et qui tient compte d’une réduction régulière des émissions de CO₂ (– 6 % par an conformément à l’objectif de neutralité carbone en 2050). Avec ce nouveau calcul, il arrive à une économie de « seulement » 1 tonne de CO₂ par an pour qui renoncerait à mettre un enfant au monde. Ouf. Ce chiffre, bien moins inquiétant que le premier, ne justifie pas de mettre en place dès demain la politique de l’enfant unique (notons qu’en Chine, ce dispositif mis en place en 1979 n’a pas été si efficace que cela eût égard à son degré de coercition). Il est néanmoins non négligeable ; « avoir un enfant de moins représente donc un choix individuel respectable pour réduire ses émissions », conclut Emmanuel Pont.

Ne pas dissoudre le féminisme dans l’écologie

À propos de respect, la psychologue Edith Vallée note que « l’argument écologique justifie, anoblit, moralise ce choix de ne pas faire d’enfants », ce qui le rend plus acceptable, en particulier pour les femmes. Dans leur article « No kids, more life », qui étudie l’évolution des positions antinatalistes dans la communauté childfree en ligne, les sociologues Sébastien Roux et Julien Figeac repèrent eux aussi un glissement du discours d’une revendication féministe axée sur l’émancipation des femmes à une dimension plus morale. Dans ces communautés, « la “bonne conduite reproductive” s’incarne dans des valeurs et des attributs associés au masculin (rationalité, contrôle, discipline) que ces groupes opposent à un désir d’enfant émotionnel, pulsionnel et féminisé ». Méfions-nous, donc, des arguments racistes et misogynes qui peuvent se cacher derrière certaines positions antinatalistes et veillons à ne pas dissoudre le féminisme dans l’écologie ; si la décision de ne pas faire d’enfant, quel qu’en soit le motif, est un « choix respectable », la liberté de procréation reste un droit humain fondamental, dans un sens comme dans l’autre.

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Pour la plupart des lectrices et lecteurs de cette newsletter, le choix d’avoir des enfants a déjà été fait, et peut-être même ambitionnons-nous d’en avoir d’autres. Bon. Il faut garder en tête que la croissance de la population est un des facteurs de la crise écologique mais pas le seul. Par ailleurs, ce sont les modes de vie des humains (des pays riches), plus que leur nombre, qui causent les principaux problèmes écologiques (diminution de la couche d’ozone, raréfaction de l’eau douce, dégradation des océans et de la vie marine, déforestation, destruction de la biodiversité, changement climatique). Modes de vie largement conditionnés par les choix des entreprises et des États sur lesquels nous n’avons que peu de prise. Pour Emmanuel Pont, en tant qu’individus, « il existe de nombreuses voies pour participer à des actions systémiques, notamment en tant que consommateur, travailleur, citoyen, décideur et modèle ». Et nos enfants pourraient bien nous y pousser. « L’avenir est plutôt chaotique, écrit l’auteur. Si la plupart des battements d’ailes de papillon ne provoquent pas un cyclone, tous les cyclones ont des milliers de battements d’ailes parmi leurs causes. Avoir un enfant est un excellent battement d’ailes de papillon : un bébé est une “crise”, une occasion de remettre le sens de la vie en question ; c’est aussi une potentialité extraordinaire. » Ponctuons donc cette newsletter et cet été caniculaire d’une dose d’espérance. Et restons au frais entre 12 h et 16 h, ce serait dommage que nos jolis papillons finissent cramés !
 
Et mère alors !

Pour aller plus loin...

Couverture du livre d'Emmanuel Pont

Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? Entre question de société et choix personnel. Emmanuel Pont. Payot, 2022.

Temoignages

Gwenaël, 31 ans, pas d’enfant
Dès l’âge de 7 ans, j’ai eu le sentiment d’appartenir à une génération qui atteignait un point de non-retour. Dans mes plus vieux souvenirs, il a toujours été hors de question de faire naître un enfant sur une Terre plus polluée que celle que j’ai pu connaître. Il ne s’agit pas tant de préserver la planète que de protéger cet être potentiel d’un mode de vie occidental basé sur la consommation et la prédation des ressources. Mais, pour autant, je ne milite pas pour la réduction des naissances. Tout les choix se respectent. D’ailleurs, je ne m’interdis pas de changer d’avis.
 
Claire, 38 ans, une enfant de 3 ans
Il y’a six ans, avec ma compagne, nous avons commencé à parler d’avoir un enfant. À cette époque, j’entendais parler de théories de l’effondrement mais je prenais tout ça à la légère. Quand je suis tombée enceinte, j’ai commencé à paniquer et ma fille est née avec cette angoisse en toile de fond. Finalement, nous en sommes arrivées à la conclusion que nous n’aurions pas d’autre enfant. Par peur de l’avenir mais aussi pour garder plus de temps pour l’activisme. Aujourd’hui, face à l’éco-anxiété, c’est vraiment l’action collective qui me tient la tête hors de l’eau. Quant à ma fille, c’est elle qui me pousse à agir. Et j’espère secrètement en faire une petite révolutionnaire !
 
Elise, 32 ans, pas d’enfant
Je suis en couple hétéro depuis 12 ans mais j’ai longtemps repoussé la question du désir d’enfant. Depuis que j’y réfléchis plus concrètement, j’ai l’impression qu’il sera trop difficile de concilier mes valeurs, notamment le véganisme, avec l’éducation d’un enfant. Comment faire respecter ce mode de vie à l’école, face aux médecins… ? Dans mon couple, c’est moi l’écolo, mais mon compagnon est plutôt d’accord avec moi : mettre un être supplémentaire au monde, dans l’état actuel des choses, ce n’est bien ni pour lui, ni pour la planète qui subit déjà bien assez l’activité humaine Entre la précarisation, le manque de ressources, le fait que nous soyons de plus en plus nombreux… comment nos enfants pourront-ils vivre dignement ?
 

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