ANA (accouchement non assisté) : celles qui accouchent seules

Crédits : Canva

Le samedi 5 juin 2021, Marina, résidente d’Évry (Essonne) accouche de son sixième enfant à son domicile, sans aide médicale, et décide de faire un « bébé lotus », ce qui consiste à laisser le placenta attaché au bébé jusqu’à ce que le cordon se détache seul. Le 10 juin, le procureur ordonne le placement provisoire de l’enfant. Il met en cause la naissance à domicile, la présence d’un cordon ombilical et le fait que l’enfant n’ait pas été examiné par un·e pédiatre. Le 15 juin, l’enfant est finalement rendu à sa famille sur décision du juge. La Justice, interrogée par L’Obs, dit avoir agi dans l’intérêt du bébé dont la sécurité n’était pas assurée, la police ayant constaté qu’il était « couché sur un matelas posé à même le sol, avec le cordon, dans des conditions d’hygiène incertaines ». La militante et autrice Marie-Hélène Lahaye dénonce, pour sa part, une « criminalisation des femmes, en raison de leurs choix, de la liberté de disposer de leur propre corps et de leur volonté d’offrir le meilleur pour la naissance de leur enfant ». Depuis, le débat fait rage sur les réseaux sociaux autour du cas de Marina et, plus largement, sur la pratique de l’accouchement non assisté. Retour sur une pratique controversée.

L’accouchement non assisté, ANA pour les intimes, consiste, comme son nom l’indique, à donner naissance à un enfant sans assistance médicale. L’ANA résulte parfois d’une démarche volontaire, fruit d’un long cheminement sur la question de l’enfantement, parfois d’un choix par défaut, faute d’avoir pu trouver un·e sage-femme pour accompagner l’accouchement ou parce que la grossesse fait partie des critères d’exclusion pour l’accouchement assisté à domicile (AAD) — grossesse gémellaire, bébé en siège, utérus cicatriciel… L’ANA doit être distingué des accouchements inopinés qui interviennent sur la route de l’hôpital ou avant qu’un·e professionnel·le ait pu arriver à domicile. La pratique de l’ANA reste très marginale en France où moins de 1 % des naissances se déroulent hors hôpital, parmi lesquelles, une minorité sans assistance.

Selon mon besoin d’autonomie, la présence d’une sage-femme à domicile, c’est déjà trop.

 

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Celles qui « savent »

« Pour les adeptes de l’accouchement non assisté, explique Stéphanie St-Amant, docteure en sémiologie, dans son article “Nous sommes les freebirthers”, accoucher est une fonction normale et ordinaire de la vie du corps féminin qui n’a rien d’exorbitant (sauf situation exceptionnelle). » Les freebirthers, tels qu’iels se nomment outre-Atlantique, pensent que les femmes ont en elles toutes les capacités pour accoucher par leurs propres moyens. Très attachées aux notions d’intuition et d’instinct, les personnes qui accouchent sans assistance ont l’intime conviction qu’elles « savent ». Elles veulent aussi pouvoir préserver la dimension sexuelle et intime de l’enfantement. D’accord me direz-vous, mais ne peuvent-elles pas exercer leur intuition en présence d’un·e professionnel·le de santé formé·e et compétent·e, juste au cas où ? Pour certaines, la seule présence d’une sage-femme, même discrète, même passive, « constitue une intrusion ou une interférence dans le processus spontané, une irruption dans la bulle d’intimité garante de la sécurité telle qu’elles la conçoivent. » Ainsi, témoigne Daliborka Milovanovic, que l’on connaît notamment pour avoir rendue publique l’affaire de Marina : « Selon mon besoin d’autonomie, la présence d’une sage-femme à domicile, c’est déjà trop. » L’autre aspect de la démarche est un refus radical de la médicalisation, perçue comme une entreprise d’assujettissement du corps des femmes. Pour les partisan·e·s de l’ANA (mais cette analyse est partagée par bon nombre des militant·e·s pour la naissance respectée), l’accouchement médicalisé, sous prétexte de garantir la sécurité des personnes qui accouchent et de les soulager de la douleur, les soumet à une cascade d’actes médicaux qui entraînent leur lot de complications et placent les personnes en situation de dépendance. Enfin, certaines personnes accouchent sans assistance faute de sage-femme disponible pour les accompagner. « De plus en plus de familles, quand elles ne trouvent pas de sages-femmes, ne se résignent plus à aller à l’hôpital », constate Floriane Stauffer, présidente de l’APAAD (association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile) au micro de France Culture.

Attention, danger ?

« C’est selon moi un danger pour soi et pour l’enfant d’accoucher à domicile, même si on y est aidée », alertait récemment Israël Nisand, gynécologue-obstétricien au CHRU de Strasbourg. Côté partisan·e·s de l’ANA, on revendique au contraire la faible dangerosité de l’accouchement, qui ne comporterait pas plus de risques que conduire une voiture ou faire une randonnée en montagne. En réalité, aucune étude fiable ne permet de connaître le taux exact de mortalité dans le cadre des ANA. Des données sur un échantillon de 400 naissances, publiées par l’historienne Rixa Freeze dans sa thèse sur l’ANA de 2008, rapportaient un taux de bébés mort-nés de 1 %, ce qui n’est pas rien. Sur le groupe Facebook privé Enfantement autonome et accouchement non assisté, trois mères auraient annoncé le décès de leur bébé depuis le début de l’année, d’après une membre du groupe. Dire qu’il n’y a aucun risque à accoucher seule chez soi relève de la mauvaise foi. Mais dire qu’accoucher seule chez soi, c’est la mort assurée, également. Sur les 400 accouchements étudiés par Rixa Freeze, 88 % se sont déroulés sans encombre. En réalité, la plupart des adeptes de l’ANA sont conscient·e·s des risques et sont prêt·e·s à renoncer au projet lorsque c’est nécessaire. « Agir en fonction des signes ou de son intuition peut aussi vouloir dire se tourner vers les services hospitaliers bien avant un symptôme inquiétant ou une urgence confirmée », rappelle Stéphanie St-Amant. Il semblerait pourtant que certaines dérives existent au sein du milieu : dogmatisme, diabolisation du médical, déni du risque, refus de toute (in)formation… Une posture que réprouve la chercheuse : « Autonomie n’est pas synonyme d’aveuglement volontaire. »

Féministes, que faire de l’ANA ?

Pour Stéphanie St-Amant, l’ANA peut être vu comme une performance féministe de la maternité en ce qu’il constitue une « affirmation politique de la puissance féminine ». Ce discours, jugé essentialiste, est décrié par tout un pan du féminisme qui craint que les femmes soient renvoyées, soumises ou réduites à la/leur nature. Au-delà de ces clivages, il me semble que l’ANA soulève des questions majeures :

  • Existe-t-il des limites au droit des femmes à disposer de leur corps ? Ne devrions nous pas le défendre coûte que coûte, même là où on ne comprend pas ?
  • Le fait que certaines personnes choisissent d’accoucher sans assistance, parfois contre avis médical, a probablement de quoi choquer. Mais que penser d’un milieu hospitalier qui a à ce point dégoûté les femmes qu’elles ne veulent plus y mettre un pied, quitte à y laisser leur peau ? Quand certaines femmes en viennent à dire qu’elles auraient « préféré aller chez le vétérinaire plutôt qu’à l’hôpital », il y a probablement matière, pour les professionnel·le·s de l’accouchement, à se remettre en question.
  • Enfin, l’augmentation du nombre d’ANA doit susciter une réflexion sur le manque de véritables alternatives à l’accouchement à l’hôpital. Et avec seulement huit maisons de naissance et 85 sages-femmes pratiquant l’accouchement à domicile sur tout le territoire français, on est loin du compte. À Marseille, une de mes amies a dû booker la seule sage-femme AAD de la région avant même d’être enceinte ! Une récente enquête de l’IFOP montrait pourtant que 17 % des femmes de 18 à 45 ans souhaiteraient « tout à fait » accoucher à domicile si elles en avaient la possibilité. Il serait peut-être temps de la leur donner.

Et mère alors !