Au nom de la mère

Comme 83 % des enfants né·e·s en 2016, ma fille porte le seul nom de son père. Cette décision, nous l’avons prise assez rapidement pendant ma grossesse. À l’époque, mon raisonnement (probablement altéré par le fameux « cerveau de grossesse »), c’était : j’ai la chance de lui donner la vie, il peut bien lui donner son nom. Je ne pense plus du tout cela aujourd’hui. On a bien le droit de changer d’avis, non ?

Lundi 22 mars 2021, 14 h 06 :
— Mairie des 4e et 5e arrondissements, bonjour !
— Bonjour, je vous appelle parce que j’aimerais changer le nom de ma fille. Elle porte le nom de son père et je voudrais lui accoler le mien.
— Date de naissance de l’enfant ?
— Avril 2016.
— Est-ce que vous et Monsieur apparaissez tous les deux sur l’acte de naissance ?
— Oui.
— Dans ce cas, c’est impossible.
— Impossible comment ? (lol)
— Pas possible du tout. On ne peut modifier l’acte de naissance qu’en cas de reconnaissance ultérieure d’un des deux parents. Là, vous avez fait un choix à la naissance et vous ne pouvez pas revenir dessus.
— Il n’y a aucun recours ?
— Non, aucun.
— Même ajouter mon nom sur le livret de famille ?
— Oui, le livret de famille, c’est juste la retranscription de l’acte de naissance, donc c’est pareil. Tout ce que vous pouvez faire, c’est changer le nom d’usage, sur la carte d’identité de l’enfant par exemple.
— …
— Bon. Merci. Bonne journée, Madame.

Fin de l’appel : 14 h 09.
 
Donc non, on n’a pas le droit de changer d’avis. Du moins, pas depuis le 1er janvier 2005, date d’entrée en vigueur de la réforme du nom de famille. Depuis cette date, les parents peuvent transmettre, au choix, le nom du père, celui de la mère, ou les noms des deux parents, dans la limite d’un seul nom par parent, dans l’ordre de leur choix. Ce choix est définitif (encore un truc qu’on ne nous dit pas dans les cours de préparation à la naissance et à la parentalité), sauf si le père reconnaît l’enfant après la déclaration de naissance. Il peut alors (il a le droit, lui) demander à apparaître sur l’acte parce que, « dans ces cas-là, on considère que la maman n’a pas eu le choix », m’a expliqué l’officière d’état civil que j’ai eue en ligne. Mais moi non plus, Madame ! Je vous dis que j’étais sous l’influence des hormones !

Les pratiques observées en France révèlent un effacement identitaire apparemment consenti par les femmes. Marie-France Valetas

 

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Que ce soit à cause de la progestérone ou de la tradition, plus de huit enfants sur dix continuent de porter le seul nom de leur père (Insee, 2019). Malgré l’élargissement de l’éventail des possibilités, seuls 12 % des enfants portent le double nom des parents (15 % chez les couples non mariés), le plus souvent celui du père en premier. 7 % portent le seul nom de leur mère (11 % chez les couples non mariés), mais dans neuf cas sur dix c’est parce que le père n’a pas reconnu l’enfant. Parmi mes lecteur·ice·s, questionné·e·s sur Instagram (un public non représentatif de l’ensemble de la population, il faut le reconnaître), certain·e·s ont donné le nom du père « sans se poser de question », ou parce qu’étant marié·e·s c’était plus simple que « tout le monde porte le même nom ». Idem quand Monsieur a des enfants d’une autre union auxquels il a déjà transmis son nom, on peut souhaiter que tous les enfants de la fratrie recomposée s’appellent pareil. D’autres avancent des raisons pratiques (« Les deux noms ensemble, c’est trop long », « Mon nom est trop difficile à écrire ») ou phonétiques (« Nos deux noms ne vont pas bien ensemble », « Son nom sonnait mieux avec le prénom que nous avions choisi »). Certain·e·s cherchent aussi à éviter les préjugés en cas de nom à particule ou à consonance étrangère. Étonnamment, ces raisons-là justifient beaucoup plus rarement que le nom seul de la mère soit donné. Et enfin, il y’a cette motivation, qui fut la mienne, savant mélange de droit romain (mater semper certa est — la mère est toujours certaine) et de psychanalyse, qui veut que la transmission par le père de son nom lui permette d’affirmer sa paternité et d’investir le lien avec l’enfant. « J’avais la parentalité biologique (la grossesse, l’accouchement, l’allaitement), je pouvais bien lui “faire grâce” de la parentalité symbolique (le nom) », résume Aude, qui a fait un choix semblable au mien.
 
En 2004, dans une intervention auprès de la Fondation pour l’innovation politique, l’anthropologue Maurice Godelier expliquait que les systèmes de filiation européens sont « à descendance indifférenciée », c’est-à-dire que « l’individu descend aussi bien de ses parents paternels que de ses parents maternels ». Un système qui justifierait a priori la transmission systématique des deux noms, comme c’est le cas en Espagne. « En France, précisait l’anthropologue, [il existe] une particularité, une inflexion patrilinéaire dans la mesure où jusqu’à maintenant c’était le nom du père qui se transmettait automatiquement aux enfants. » On parle d’ailleurs de nom « patronymique » comme synonyme du nom de famille, le terme « matronymique » n’existe pas. Malgré l’évolution de la loi, cette « inflexion patrilinéaire » perdure, et l’attribution du nom de père reste le choix par défaut. En l’absence de déclaration de choix de nom, l’enfant prend automatiquement le nom de son père ou du premier parent l’ayant reconnu.
 
La sociologue Marie-France Valetas parle d’un « effacement identitaire apparemment consenti par les femmes ». Eh bien justement, certaines ne consentent plus. « Nous ne voulions pas effacer une des deux familles au profit de l’autre », témoigne Léa. Pour beaucoup, donner son nom, c’est affirmer un lien avec son enfant, l’inscrire dans une lignée, transmettre son histoire. L’affirmation de la filiation par la transmission du nom s’avère particulièrement importante pour les parents de même sexe, comme pour Gabrielle : « Nos enfants portent les noms de leurs deux mamans, pour consolider la filiation dans un contexte juridique incertain. » Beaucoup ont souhaité faire figurer leur nom accolé à celui de leur coinjoint·e « par féminisme », « par principe », par souci « d’équité », « d’égalité » ou de « justice ». Quant à transmettre le seul nom de la mère, cela reste un choix subversif, pas toujours au goût de la famille : « On ne voulait donner que mon nom, témoigne Coline, mais ça ne passait pas dans ma belle-famille tradi. Donc on a mis les deux, le mien en premier. »
Malgré tout, ce n’est pas si simple, car transmettre son nom « de jeune fille », c’est le plus souvent transmettre le nom de son propre père. On ne se débarrasse pas comme ça du patriarcat. Or, certain·e·s n’ont aucune envie de transmettre le nom de leur géniteur. Pour les plus indécis·es, reste le hasard : un certain nombre d’entre vous avez apparemment choisi le nom, ou l’ordre des deux noms, à pile ou face. Why not ?
 
Dans tous le cas, il faut bien réfléchir, car une fois l’enfant déclaré à l’état civil par ses deux parents, c’est foutu, pas de retour possible. Pour ma fille, il reste la possibilité de lui attribuer un nom d’usage composé de nos deux noms, qui pourra apparaître sur ses papiers d’identité. Mais il n’aura jamais la solennité, la permanence, la solidité d’un nom de famille. Si un jour, elle a des enfants, elle ne pourra pas transmettre son nom d’usage, et au jour de sa mort, c’est bien le nom de son père qu’on inscrira sur son acte de décès. Je dois m’y résigner.

Et mère alors !

POUR ALLER PLUS LOIN…

🗞 Les deux articles de Titiou Lecoq sur le « patriarcat patronymique », à lire sur Slate ici et ici, ainsi que cet article de Daphnée Leportois, toujours dans Slate.
💡 La procédure de déclaration du nom de famille, pour les futurs parents qui ne veulent pas se retrouver coincés.