La positive attitude

Récemment, le podcast indépendant Méta de choc consacrait une série en quatre épisodes à l’éducation positive avec Béatrice Kammerer, journaliste spécialisée en sciences de l’éducation et autrice de L’éducation vraiment positive. L’un des épisodes abordait l’impact de ce courant éducatif sur les mères, ce qui a fait naître en moi la question suivante : l’éducation positive est-elle compatible avec le féminisme ?

Aliénation pour les un·e·s, lieu d’empouvoirement pour les autres, la maternité fait débat depuis bien longtemps au sein des mouvements féministes. Dans les années 1960-70, quand Beauvoir qualifiait la maternité de « servitude épuisante », d’autres femmes revendiquaient un pouvoir spécifiquement féminin, ancré dans la maternité. « Il faudra bien un jour tenir compte de la procréation comme un apport considérable de richesses par les femmes à la communauté humaine et, pour elles-mêmes, comme une possibilité de libre accomplissement d’un désir », écrivait, en 2004, Antoinette Fouque, principale représentante du féminisme psychanalytique et fondatrice du MLF (Mouvement de libération des femmes). Cette polarisation du débat perdure aujourd’hui, les un·e·s traitent les autres d’essentialistes n’ayant pour but que de renvoyer les femmes à la maison, les autres taxant leurs opposant·e·s de vendu·e·s au capitalisme, n’ayant fait des enfants que pour s’en débarrasser.

Dans l’éducation positive, le bien-être des mères est considéré comme un bénéfice très secondaire.

 

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Prenons la question de l’allaitement. Certain·e·s féministes se sont mobilisé·e·s pour en faire un sujet féministe à part entière, comme Penny Van Esterik, anthropologue américaine, citée par Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, ex-présidente de la Leche League : « L’allaitement affirme le pouvoir de contrôle de la femme sur son propre corps […], met en cause le modèle dominant de la femme comme consommatrice […] et s’oppose à la vision du sein comme étant d’abord un objet sexuel. » Madeline, alias Madame Captain sur Instagram, qui se définit comme une « repentie de l’éducation positive », considère que « les militantes du maternage se battent à juste titre pour le droit des femmes à allaiter. Mais on ne peut pas leur laisser dire qu’au motif que c’est ce qu’il y a de mieux pour l’enfant les femmes devraient être obligées d’allaiter. “Mon corps, mon choix” est un principe indiscutable ». En 2010, la mannequin brésilienne Gisèle Bundchen, fervente défenseuse de l’allaitement, avait enflammé le débat en déclarant qu’il devrait y avoir une loi obligeant les femmes à allaiter pendant six mois. Si la notion de choix paraît évidente à toute personne se réclamant du féminisme, elle se heurte, pour certain·e·s, à la question de l’intérêt supérieur de l’enfant.

« Je ne pense pas que la parentalité positive soit à l’origine de la charge mentale. »

« Positive ou non, l’éducation des enfants repose en grande partie sur les mères, rappelle Béatrice Kammerer, jointe par téléphone. Mais l’éducation positive peut renforcer cette tendance, car le maternage proximal requiert un investissement intensif des mères. Ensuite, l’éducation positive repose sur les compétences émotionnelles et relationnelles, des qualités traditionnellement attribuées aux femmes, qui sont donc plus à l’aise pour investir ce modèle éducatif. Enfin, ce sont surtout les mères qui lisent les livres, font les formations, portent le projet d’éducation positive dans leur famille, face à des conjoints pas toujours motivés, ce qui rajoute une charge sur leurs épaules. » L’une des principales critiques de l’éducation positive, c’est qu’elle ne tient pas suffisamment compte du bien-être des mères, lesquelles doivent s’oublier au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, quitte à s’épuiser. « Malgré le discours autour du féminin sacré que l’on retrouve souvent dans ces milieux, les mères sont mises à rude épreuve, regrette Madame Captain. Les femmes sont réduites à leur rôle de mère au service de l’enfant. » Béatrice Kammerer dénonce, elle aussi, un mouvement « entièrement focalisé sur les besoins de l’enfant [où] le bien-être des mères est considéré comme un bénéfice très secondaire ». Côté éducation positive, on refuse de mettre l’épuisement des mères sur le compte de ce modèle éducatif, qui repose, au contraire, sur le respect des besoins de chacun·e. « Je ne pense pas que la parentalité positive soit à l’origine de la charge mentale, mais qu’elle n’est qu’un révélateur de l’inégale répartition des tâches dans un couple […]. C’est la raison pour laquelle j’estime que féminisme et éducation positive sont indissociables. À mon sens, il est plus approprié de critiquer le capitalisme, l’économie ultralibérale, le patriarcat, le système éducatif traditionnel que la parentalité positive », peut-on lire sur le blog Apprendre à éduquer. Ah ! Alors on est d’accord ? Le problème, c’est le patriarcat. Certes, mais il y a clivage sur les réponses à apporter. La plupart des féministes défendent une maternité moins exigeante, un meilleur équilibre vie pro-vie perso, des modes de garde plus adaptés, et, surtout, un véritable investissement des pères. Or, ces compromis sont jugés insatisfaisants par certain·e·s tenant·e·s de l’éducation positive, car ils ne remettent pas suffisamment en cause le « système ».

Tout faire, et tout faire bien, c’est difficile, voire impossible.

Le but inavoué de l’éducation positive est-il de renvoyer les femmes à la maison ? Dans une vidéo intitulée « Maternage et féminisme », la blogueuse Maman très spirituelle préfère parler « d’autres modèles », dans lesquels la maternité est placée au centre et où les autres activités, plus ou moins rémunératrices, s’organisent autour. Dans Aimer materner jubiler, l’autrice et sociologue québécoise Annie Cloutier défend plus directement la cause des femmes au foyer, au nom du besoin réciproque de proximité des mères et des enfants. Adepte d’un féminisme de l’équité, dans lequel hommes et femmes assurent des tâches différentes, mais également valorisées et rémunérées, elle accuse les féministes égalitaristes de s’être acharnées à défendre l’autonomie des femmes par le travail rémunéré, sans se soucier du désir de beaucoup de mères de s’occuper de leurs petit·e·s, et au mépris des besoins des enfants. Si, en tant que féministe, il me semble difficile de souscrire au principe selon lequel « une mère, plus qu’un père, a le besoin ou le devoir de se tenir proche de son enfant et que personne aussi bien qu’elle ne peut accomplir cette mission », il y a deux points sur lesquels je suis d’accord avec Annie Cloutier. D’abord, il est urgent de valoriser le travail reproductif, indispensable à la bonne marche de la société. Ensuite, tout faire et tout faire bien, c’est difficile, voire impossible. Depuis cinquante ans, on a poussé les femmes à en faire toujours plus, à tout concilier, avec des standards professionnels et éducatifs toujours plus élevés. Si les femmes sont épuisées, c’est surtout parce qu’elles en font trop. C’est dans l’identification de ce « trop » et des voies à emprunter pour en faire moins que réside, selon moi, le materféminisme. L’itinéraire sera laissée à l’appréciation de chacun·e.

Et mère alors !

 

POUR ALLER PLUS LOIN…

🎧 « Éducation positive, vraiment ? », Méta de choc, podcast indépendant.
📖 Aimer, materner, jubiler, l’impensé féministe au Québec, Annie Cloutier, Éd. VLB (Québec).
🖼 Compte Instagram et blog de Madame Captain.
📺 Chaîne Youtube et blog de Maman très spirituelle.