« Entre septembre et novembre, le nombre d’états dépressifs a doublé en France », a annoncé mardi 17 novembre Jérôme Salomon, directeur général de la Santé. Et en Daronnie, comment ça va ? Bien que mon propre moral et mes conversations avec mes copines n’aient pas valeur de preuve, j’ai l’intime conviction que ça ne va pas fort.
Les impacts du premier confinement sur la santé mentale des mères ont été largement documentés. Si quelques-unes apprécient d’avoir échappé aux intrusions de belle-maman (ou tout·e autre membre de la famille particulièrement envahissant·e), la plupart ont mal vécu l’extrême solitude. Audrey, 32 ans, mère d’un bébé de 8 mois, a accouché au mois de mars : « J’ai été seule à la maternité (papa excepté. Les rencontres avec la famille se sont faites en visio. On est restés quasiment cloîtrés à la maison jusqu’à ma reprise du travail, j’ai vécu toute cette période très isolée, et c’est difficile à vivre. » Un constat que partage Élise Marcende, présidente de Maman Blues, association d’information et de soutien autour de la difficulté maternelle : « Pendant le premier confinement, les appels à l’aide ont explosé. Les structures de soins et les lieux d’accueil enfant-parent ont fermé, les visites à domicile n’étaient plus possibles… Les femmes se sont retrouvées extrêmement démunies et plus seules que jamais. » Rappelons que l’isolement est un des premiers facteurs de risque de dépression périnatale, laquelle touche environ 15 % des femmes en temps normal. Une recherche intitulé COV-MUM est en cours pour « mesurer l’impact émotionnel lié à la séparation des patientes accouchées dans la période de confinement ». Les premiers résultats de cette étude laissent, sans surprise, entrevoir une augmentation des dépressions post-partum Par ailleurs, dans une enquête du collectif Stop VOG sur 2 700 femmes ayant accouché entre le 15 février et le 31 mai 2020 (enquête lancée sur les réseaux sociaux — échantillon non représentatif), 11 % des répondantes disent avoir été contraintes d’accoucher seules et 42 % avoir dû porter un masque pendant toute la durée du travail. 75 % des femmes ayant répondu à l’enquête présentaient des signes de dépression post-partum ou de syndrome de stress post-traumatique. Pour les mères d’enfants plus grands, le tableau n’est pas plus réjouissant. Dans Il suffira d’une crise, la dessinatrice Emma montre bien comment le premier confinement a fait voler en éclats nos illusions d’égalité domestique et parentale. (Télé)travail, école à la maison, charge mentale et émotionnelle démultipliées… En bref, la plupart des daronnes se sont tapé tout le boulot. Et c’est sans parler des violences conjugales, qui ont bondi de 36 % dès les premières semaines du confinement.
Je me sens usée, blasée, isolée.
J’ai le sentiment que rien ne sera plus jamais comme avant.
Après le marathon du printemps, nous avions naïvement pensé que ce deuxième confinement passerait comme une lettre à la poste. Tant qu’on peut mettre les enfants à l’école ! plaisantions-nous. Et patatras. Même si nous sommes, pour la plupart, soulagées de ne plus avoir à gérer les enfants et leurs tables de multiplication au quotidien, pour un certain nombre d’entre nous, ce deuxième confinement s’avère plus difficile à vivre que le premier. C’est le cas de Pauline, 32 ans : « Je pensais que ça irait, mais j’ai été surprise de constater que je vivais tout ça assez mal. » À Lyon, au cabinet de Françoise Guérin, psychologue spécialisée en périnatalité et autrice du formidable Maternité chez Albin Michel, les nouvelles patientes affluent ces dernières semaines : « Les conséquences du premier confinement commencent à se faire sentir et on ne mesure pas encore ses effets à long terme, témoigne la professionnelle. Beaucoup de femmes en sont ressorties épuisées, découragées, parfois en franche dépression. On a, à tort, pensé que le déconfinement arrangerait tout. Or, l’isolement des parents perdure, et les fragilités psychiques que le confinement a révélées n’ont pas disparu. »
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Si certaines personnes vivent mal cette seconde vague, c’est aussi parce que les impacts psychiques d’une crise se révèlent souvent avec un effet retard. Le 20 novembre, sur France Culture, le psychanalyste François Ansermet expliquait que le premier confinement a pu créer un effet de sidération, enfouissant le traumatisme. Un second événement, comme ce deuxième confinement, la reprise du travail ou tout autre événement personnel, peut venir « réveiller la cascade traumatique » et créer un après-coup dévastateur, comme chez Caroline, 33 ans, mère de deux enfants : « Je me sens usée, blasée, isolée. J’ai le sentiment que rien ne sera plus jamais comme avant. » Pareil pour Audrey, qui se dit aujourd’hui « en totale déprime ». Embourbé·e·s dans un « marécage de l’instant présent », pour reprendre cette image de François Ansermet, nous vivons ce mois de novembre dans une routine des plus absolues — métro, boulot, grèves de cantine et écoles fermées pour les Marseillais·e·s (courage !), Netflix, dodo, sans pouvoir bénéficier de véritable temps de loisirs à l’extérieur de la maison et, surtout, sans aucune possibilité de se projeter dans l’avenir. « Je trouve lassant et déprimant de ne pas savoir ce qui nous attend pour les semaines et mois à venir, sans pouvoir faire de projet », explique Nathalie, 34 ans, mère d’un enfant de 30 mois. Pour Françoise Guérin, « ce deuxième confinement donne le sentiment qu’on n’en finit pas. Pour certains parents, c’est de l’ordre de l’insupportable. » D’autant plus que ce deuxième confinement a les inconvénients du premier, sans les avantages. Si certain·e·s avaient pu trouver, dans le premier confinement, l’occasion d’une pause, d’un repli bénéfique, aujourd’hui, « on n’est plus du tout dans le même mood poétique », pour reprendre l’expression de Jeanne, 33 ans, mère d’une enfant de 2 ans : « Au printemps, nous étions tous les trois dans notre cocon, on a pu profiter du printemps et regarder la nature faire son œuvre par la fenêtre. Là, il fait froid, on profite moins du jardin, je suis en arrêt, mon conjoint travaille, ma fille est gardée, on n’a plus ce sentiment de temps suspendu. »
« Nous voulons éviter une troisième vague, qui serait une vague de la santé mentale », a déclaré Olivier Véran, ministre de la Santé. Pour François Ansermet, l’après-coup psychique de la pandémie a déjà commencé, il faut s’en préoccuper dès à présent
Et mère alors !
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