MAIS IL EST OÙ, CE P***** DE VILLAGE ?

Photo by Michael Kilcoyne on Unsplash

« Il faut tout un village pour élever un enfant. » Depuis que je fréquente le milieu de la périnatalité, j’ai entendu ce proverbe africain un nombre incalculable de fois. Une façon de dénoncer l’isolement des parents dans les sociétés occidentales et d’appeler à des modes d’éducation plus collectifs. Qu’il fasse référence à l’idéal, non dénué d’exotisme, de la société africaine traditionnelle, ou à la France des clochers, le village, tel que fantasmé par le proverbe, paraît peu transposable dans la réalité contemporaine. Dans les faits, plus des trois quarts de la population vit en ville, les générations sont éclatées et, côté logement, la tendance est au « chacun·e chez soi », d’autant plus en temps de Covid. En outre, selon la psychologue Delphine Vennat, notre société « hypermoderne » exalte l’individualisme et la réalisation de soi : « Ne rien devoir à personne, se construire seul, ne dépendre de personne sont des types d’injonctions propres à cette idéologie. » Bien que les familles recomposées, homo- ou trans-parentales inventent des formes de parentalité plus diverses, la famille nucléaire reste la norme. Chacun, et surtout chacune, gère dans son coin ses problèmes de garde, de charge mentale et de doutes existentiels quant à l’éducation. Dans ces circonstances, on peut légitimement se poser la question : il est où, ce satané village ?

C’est un confort psychologique énorme pour moi . Je ne me soucie plus de mes enfants quand ils sont seuls, car il y a toujours un ou une voisine pour veiller. 

 

Du point de vue politique, la réponse à l’isolement des familles est essentiellement institutionnelle. De nombreux dispositifs de soutien à la parentalité se développent, comme les lieux d’accueil enfants-parents ou Laep. Ces structures associatives, inspirées des Maisons Vertes de Françoise Dolto, offrent des espaces d’accueil, d’écoute et d’échange entre parents ainsi qu’un premier lieu de socialisation pour les enfants. Si j’en parle, c’est parce que nombre de ces structures se revendiquent du « village ». « On n’est pas parent tout seul », clame, par exemple, le slogan de l’association Tout un Monde, à Marseille. Or, s’ils peuvent apporter un soutien précieux, ces lieux restent une réponse professionnelle et ponctuelle. Le récent rapport 1000 jours préconise de constituer, à l’instar du modèle australien, des groupes fixes de parents dès la grossesse. Au pays des kangourous, chaque couple ou parent peut rejoindre un collectif de dix personnes, dont les bébés sont nés le même mois. Des rencontres accompagnées par un·e professionnel·le de la petite enfance ont ensuite lieu deux fois par semaine pendant un an. Si vous voulez voir à quoi ça ressemble, regardez l’hilarante série The letdown (Super mamans, en français), qui suit un de ces groupes aux membres pour le moins excentriques.

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Encore plus proches de véritables communautés, les habitats groupés, coopératives d’habitants et autres résidences solidaires tentent aujourd’hui, sous des formes variées, de faire renaître le « village ». Du éco-hameau rural à l’immeuble intergénérationnel de centre-ville, tous ces projets reposent sur un même engagement des habitant·e·s dans la conception et la gestion de leur lieu de vie, combinaison d’espaces individuels et partagés (buanderie, atelier de bricolage, jardins, salles de jeux…).. Pour l’urbaniste Camille Devaux, autrice d’une thèse sur l’habitat participatif, ce type d’habitat constitue un véritable « projet de vie » : « Les futurs habitants mettent au cœur de leur démarche le partage de services au sens large […], tels que la garde d’enfants ou l’autopartage. » À L’Oasis de Serendip, dans la Drôme, les parents de trois familles se répartissent la garde des enfants à tour de rôle, trois jours par semaine. Une solution qui offre confort aux petits et disponibilité aux grands : « On apprend à trouver précieux de pouvoir compter sur des moments, aussi rares soient-ils, où il est possible de prévoir des chantiers, des rendez-vous, du repos, etc. », témoigne Martin.

En aménageant très concrètement des dispositifs d’entraide, de la crèche parentale à l’aide aux devoirs en passant par le pédibus scolaire, l’habitat participatif pense une parentalité collective et réinvente l’allomaternage, pour reprendre un terme de l’anthropologue Sarah Blaffer Hrdy. Toutes les personnes, qui vivent dans l’entourage de la mère, qui sont de sa famille proche ou plus éloignée, adultes et plus grands enfants, parents et voisin·e·s, qui peuvent être amenées à s’occuper du bébé sont des alloparents. Ce type de voisinage ouvre des espaces de respiration, notamment pour les mères solos, particulièrement isolées et touchées par la précarité (un tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté). Outre leur permettre de se loger correctement, la présence des voisins apporte un soulagement au quotidien. « C’est un confort psychologique énorme pour moi », affirme Julie, mère solo de deux enfants, et salariée à temps plein, résidente du Mas Cobado, à Montpellier. « Je ne me soucie plus de mes enfants quand ils sont seuls, car il y a toujours un ou une voisine pour veiller. » D’ailleurs, des projets spécialement dédiés aux parents solos se développent comme à Floirac, près de Bordeaux, où une « maison des monoparents » vient de voir le jour. Pour les enfants, l’habitat participatif permet de recréer des communautés de pairs, de regagner liberté et autonomie. La surveillance collective offre en effet suffisamment de sécurité et de confiance pour laisser plus de latitude aux enfants : « L’aîné de mes enfants est toujours dans l’idée de faire des choses avec ses copains, sans les parents. Je me dis qu’ici ça va être possible », témoigne une autre habitante du Mas Cobado.

S’il ne constitue pas une solution miracle – monter un tel projet demande du temps et des compétences, il faut être prêt à partager/s’engueuler avec ses voisins –, l’habitat participatif a tout de même de quoi faire rêver ! Reste à généraliser les acquis de ces laboratoires des (im)possibles à l’ensemble de la société. Très répandu en Norvège (15 % du parc immobilier), en Suisse (5 % du parc) ou en Allemagne (80 % des logements neufs), l’habitat participatif reste marginal en France. À ce jour, l’organisme Habitat participatif France recense 170 projets terminés soit seulement 1 400 logements. Alors, qui pour monter un « village des MILFamilles » ?

Et mère alors !

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