Depuis que je suis mère, je suis souvent en colère. Au-delà de mes emportements ponctuels pour des histoires de chambre mal rangée, je ressens aussi une colère plus profonde, un sentiment d’injustice mêlée de frustration, directement lié à ma condition de mère. Cette colère-là m’entrave parfois. Elle est également un moteur de ma révolte.
Dans son livre La puissance des mères, paru en septembre, la politologue Fatima Ouassak réhabilite le pouvoir d’indignation des mères. Des folles de la place Vendôme, qui, dans les années 1980, se révoltèrent contre les crimes racistes dont étaient victimes leurs enfants, au Front de Mères, syndicat de parents des quartiers populaires qui lutte contre les discriminations institutionnelles, Fatima Ouassak revendique la maternité comme puissance politique : « […] nous ne sommes pas des “mamans” réduites à la relation que l’on a à nos propres enfants, nous sommes des mères, c’est-à-dire des acteurs politiques qui peuvent se révéler redoutables dans les rapports de forces si on touche un cheveu de leurs petits. »
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Si le livre de Fatima Ouassak apporte un éclairage passionnant sur les mères en tant que sujets politiques, il aborde peu la question de la maternité en soi. Or, la colère qui m’habite, personnellement, n’est pas seulement une colère de citoyenne-mère, c’est une colère vis-à-vis de la maternité elle-même. Ce qu’elle me fait à moi, ce qu’elle fait aux autres femmes.
Mères, nous sommes autorisées à manifester de la colère en tant que mères et compagnes, mais pas à cause de ce qui nous arrive à nous au fil de notre vécu et de nos attentes à l’égard de la maternité.
Il y a quelques jours, sur Twitter, la journaliste Nora Bouazzouni réagissait à un article titré Ces parents qui ne peuvent plus saquer leur gosse après le confinement dans lequel une mère disait : « Je n’ai pas signé pour ça ». Sous-entendu : je n’ai pas signé pour passer toutes mes journées avec mes enfants pendant que mon mari est au bureau, tout en télétravaillant et en jouant à la maîtresse, qui plus est en mode confiné. La journaliste trouvait violent que cette mère emploie le mot « signer ». Pourtant, le contrat existe bel et bien : aujourd’hui, les femmes acceptent de faire des enfants (ce qui est encouragé), à condition de déléguer leur garde pour pouvoir bosser (ce qui est à la fois encouragé et critiqué). Elles tentent ainsi de répondre à une double injonction : avoir des enfants tout en restant actives/productives/indépendantes (cela concerne surtout les femmes des classes moyennes et supérieures ; on s’inquiète beaucoup moins que des femmes de classe populaire restent au foyer). Le fait que ce témoignage soit qualifié de « violent » (pour qui ?) montre à quel point le sentiment de révolte vis-à-vis de la maternité en soi reste difficile à exprimer. Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, nous devons nous garder de tout regard critique à l’encontre de nos propres situations. Nous révolter pour nos enfants, passe encore, mais nous révolter pour nous-mêmes ? Quelle infamie ! Comme le résume la journaliste américaine Soraya Chemaly dans Le pouvoir de la colère des femmes : « Mères, nous sommes autorisées à manifester de la colère envers notre famille, nos enfants, en tant que mères et compagnes, mais pas à cause de ce qui nous arrive à nous au fil de notre vécu et de nos attentes à l’égard de la maternité. »
Si cette newsletter s’adresse aux « mères vénères », ce n’est donc pas uniquement pour la rime. C’est également pour légitimer notre rage et en faire une force. Nous avons toutes les raisons d’être en colère quand la maternité, qui était censée être le rôle de notre vie, se transforme en sacerdoce.
Et mère alors !
Pour aller plus loin…
📖 Fatima Ouassak, La puissance des mères, La découverte, 2020
📖 Soraya Chemaly, Le pouvoir de la colère des femmes, Albin Michel, 2019