Black mamas matter

«Les femmes noires de notre pays sont confrontées à une crise de santé maternelle», a déclaré la vice-présidente américaine, Kamala Harris, lors d’une table ronde organisée dans le cadre de la Black Maternal Health Week, qui se tenait du 11 au 17 avril 2021. Cet événement, qui a fait l’objet d’une proclamation (en anglais) de Joe Biden himself, s’inscrit dans un programme d’action plus large visant à remédier aux fortes disparités raciales qui entourent les morts maternelles dans le pays. Les États-Unis ont les taux de mortalité maternelle les plus élevés du monde développé et les femmes noires y sont trois fois plus susceptibles de mourir en couches que les femmes blanches. En cause, les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension ou l’obésité, qui augmentent les risques de complications pendant la grossesse et qui touchent plus souvent les femmes noires. Les Afro-Américaines sont aussi davantage touchées par la précarité et les difficultés d’accès au soin. Mais la précarité n’explique pas tout, et le niveau de risque perdure, même pour les femmes noires des classes moyenne et supérieure, comme l’illustre l’histoire de Serena Williams. En 2017, la tenniswoman a dû subir une césarienne en urgence. Le lendemain, ayant du mal à respirer, elle a demandé un scanner et un anticoagulant. Malgré les antécédents d’embolie pulmonaire de la joueuse de tennis, ni l’infirmière ni les médecins ne l’ont prise au sérieux. Les catastrophes se sont alors enchaînées. Un scanner a révélé plusieurs caillots de sang dans ses poumons, puis sa césarienne s’est rouverte à cause d’une quinte de toux causée par l’embolie pulmonaire. Lorsqu’elle est retournée en salle d’opération, les médecins se sont aperçu·e·s qu’elle souffrait aussi d’une hémorragie interne. Finalement, la championne a dû rester alitée six semaines. Dans son discours de lancement (en anglais) de la Black Maternal Health Week, Joe Biden reconnaissait que « pour beaucoup trop de femmes noires la sécurité et l’équité ont été tragiquement niées » et s’est engagé à « poursuivre des politiques systémiques qui fournissent des soins de santé maternelle complets et holistiques, exempts de préjugés et de discrimination ».

Oh, vous savez, les femmes comme vous accouchent toujours en avance ou par césarienne, vous verrez.

 

Ça te plait ?
Reçois la newsletter dans ta boîte mail !

En entrant ton e-mail, tu acceptes de le transmettre à MILF media & MailChimp dans le seul but de recevoir la newsletter. Les données ne sont pas transmises à des tiers et tu pourras te désabonner via le lien au bas de la newsletter.

Vue de France, ce pays qui ne « voit pas les couleurs » et s’offusque que des étudiant·e·s noir·e·s puissent se réunir en non-mixité, une telle reconnaissance officielle du racisme institutionnel a de quoi étonner. Pourtant, dans notre pays aussi, les femmes noires meurent trois fois plus en couches. Selon la dernière enquête sur les morts maternelles, parue en début d’année et basée sur les chiffres des années 2013 à 2015, une parturiente née en Afrique subsaharienne a trois fois plus de risques de mourir des suites de la grossesse ou de l’accouchement qu’une femme née en France. Si l’étude reconnaît dès son introduction que le fait d’être née à l’étranger constitue un facteur de risque en soi (nous n’avons pas de chiffres sur les femmes racisées nées en France), elle semble contourner le problème en se focalisant, dans la suite de l’étude, sur des données strictement médicales. Ainsi, pour chaque cause de décès (maladies cardiovasculaires, hémorragies…), certains cas cliniques sont étudiés en détail. À aucun moment, dans l’analyse de ces cas, l’origine des parturientes n’est mentionnée (alors qu’elle est connue). Comme si on voulait éviter tout recoupement possible entre l’origine de la patiente et sa trajectoire de soin. Idem dans les recommandations du rapport : pas une ligne sur la prise en charge des personnes migrantes alors que le facteur de risque est reconnu. Aurait-on peur de se confronter à la question du racisme médical ?
 
« Oh, vous savez, les femmes comme vous accouchent toujours en avance ou par césarienne, vous verrez. » Dans Maman noire et invisible, la blogueuse Diariatou Kebe, également cocréatrice du compte Instagram Les puissantes, témoigne du racisme plus ou moins décomplexé auquel elle a été confrontée durant sa grossesse. Un racisme ordinaire, qui prend sa source dans des stéréotypes raciaux et des mythes médicaux, et dont les conséquences sont bien réelles. En France, par exemple, le recours à la césarienne est deux fois plus élevé pour les femmes noires. La raison avancée est l’étroitesse de leur bassin, qui ne permettrait pas le passage du bébé. Autre époque, autre mythe, dans les années 2000, une étude américaine affirmait que les femmes d’origine africaine avaient un temps de gestation plus court de cinq jours que les autres femmes. Par conséquent, pendant une dizaine d’années, de très nombreuses maternités ont mis en place un « protocole de terme ethnique » qui avançait d’une semaine la prise en charge de la fin de la grossesse. Dans une étude sur la prise en charge des « Africaines » dans les maternités d’Île-de-France, la sage-femme et sociologue Priscille Sauvegrain explique que ce protocole était appliqué « à la tête de la cliente ». Selon les équipes, il pouvait concerner les femmes « africaines » seulement, ou inclure toutes les femmes à la peau jugée suffisamment foncée, quelle que soit leur origine réelle ou supposée (Antilles, Haïti, Sri Lanka, Comores). Priscille Sauvegrain montre aussi que les soignant·e·s se basent sur des stéréotypes pour déterminer l’origine des patientes : « Le revenu sert de base de classement pour distinguer les “Africaines”, décrites en situation de précarité ou à l’inverse appartenant aux classes sociales les plus aisées, des “Antillaises”, catégorie qui regroupe toutes les femmes que les soignants voient comme “noires” et situent dans une classe moyenne, même si elles sont nées dans un pays d’Afrique. » Ces stéréotypes découlent sur des croyances médicales telles que « les petits Africains meurent plus souvent à la naissance » ou « les femmes noires ont des fins de grossesse plus à risque ». En 2011, le CNGOF (Collège national des gynécologues obstétriciens français) a finalement recommandé l’arrêt du protocole de terme ethnique, faute de données suffisantes. Quant à l’étroitesse du bassin, elle pourrait finalement être due aux conditions socio-économiques et sanitaires, plutôt qu’à la couleur de peau. « Utiliser des catégories racisantes a des conséquences sur les parcours de soin, constate Diariatou Kebe. Il me semble plus parlant d’interroger des facteurs externes comme la qualité ou les conditions de vie, plutôt qu’une couleur de peau. En effet, si les migrantes sont sujettes à des problématiques spécifiques […], est-ce que leurs filles, qui n’ont pas eu les mêmes conditions de vie, sont concernées ? »
 
En France, la question du racisme médical reste taboue. En août 2020, l’Ordre des médecins s’est insurgé contre les listes de soignant·e·s racisé·e·s établies par et pour des patient·e·s souhaitant se prémunir du racisme. Dans un communiqué, l’Ordre affirme que les soignant·e·s prennent en charge leurs patient·e·s « sans aucune discrimination ». Allez expliquer ça à cette patiente ivoirienne qui voulait se faire prescrire la pilule et à qui son gynéco a rétorqué : « Ça m’étonne, d’habitude les Africaines elles aiment bien accoucher pour les allocs’. » Pour Baptiste Beaulieu, médecin et chroniqueur, qui intervenait le 30 novembre 2020 sur France Inter, « il est absurde de penser que, dès qu’un soignant enfile une blouse, il se sépare de ses biais et de ses stéréotypes sur les personnes qui ne sont pas comme lui ».

Aux États-Unis, la reconnaissance par l’État du racisme institutionnel, en particulier médical, a permis d’avancer sur le chemin de la justice reproductive. L’administration Biden-Harris prévoit notamment d’allouer 30 millions de dollars à la formation sur les stéréotypes raciaux pour les professionnel·le·s de santé (en anglais). Comme quoi, il est plus efficace de regarder les problèmes en face que de se cacher derrière son petit doigt.
 
Et mère alors !

POUR ALLER PLUS LOIN…

📖 Maman noire et invisible, Diariatou Kebe, Éd. La boîte de Pandore, 2015. Voir aussi son blog et son Instagram.
🗞 « La santé maternelle des “Africaines” en Île-de-France : racisation des patientes et trajectoires de soins », Revue européenne des migrations internationales, Priscille Sauvegrain, 2012.
💡 Protecting your birth: a guide for black mothers. Guide de défense qui donne aux femmes noires enceintes des clés pour se sentir en sécurité et aux professionnel·le·s de santé des pistes pour déconstruire leur propre racisme.